Ne serait-il pas beau que chacun ait ce qu’il mérite ? Maintes fois on vous l'a répété — quand on veut on peut. Tout est affaire de volonté. En méritocratie, la position sociale d'un individu est idéalement déterminée par le mérite qu'il accumule depuis sa naissance par ses actions et son travail. Dans les faits, ce n'est pas aussi simple. Ne serait-ce que parce qu'on ne part pas tous avec les mêmes cartes.      

L'OCDE rappelle en 2018 qu'il faut 6 générations à un enfant né de famille modeste pour atteindre le revenu moyen. À l'exception de quelques anomalies statistiques, le constat ne cesse d'être réitéré. Malgré cela l'école républicaine — et à son sommet les grandes écoles — reste dans l'imaginaire commun LE vecteur de l'élévation sociale. 

Ces ambassadrices hyper sélectives paraissent aussi immuable que l'État. Pourtant depuis plus de 200 ans leur histoire est faite de turbulences et d'adaptations contraintes. Pour survivre aux guerres et aux révolutions sociétales elles ont dû déployer des trésors de rhétorique et de démonstrations mesurées de bonne volonté. Alors qu'en est-il de cette diversité sociale que tout le monde appelle de ses voeux ? Comment est-elle constituée ? Qui l'a compose ? 

« Il y a toujours eu du flou dans le discours de l'ouverture sociale. Déjà on parle d'ouverture [...] pas de démocratisation. On parle d'égalité des chances, [...] pas d'égalité tout court. Et parfois [...] de diversité ou de diversification. Et la diversité elle commence où ? À 1% ça commence à devenir divers ? Ou c'est 20% ? 30% ?

  [...] depuis les années 2000-2010 il y a une moyennisation de la population des boursiers. [...] Avant ça recoupait grosso modo le critère social. À partir du moment où le critère boursier est devenu un critère d'action publique, ça a favorisé surtout les boursiers les moins pauvres si j'ose dire. 

[...] Mais au fond la diversité implique les classes moyennes puisque même [elles] ont disparu du recrutement [des grandes] écoles. »

Paul Pasquali, dans la Réalité

Ensemble pendant une heure on tente de tirer l'affaire au clair : l'ascenseur social a-t-il jamais fonctionné  ? Avec notre invité nous partons pour une rétrospective de ces moments de flottement où d'autres choses ont semblé être possible. Où l'on a essayé de faire autrement. L'occasion de mesurer le chemin parcouru et de débroussailler celui qui reste à faire.

Bonne écoute.

L'INVITÉ 

Paul PASQUALI, chercheur au sein de l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS - Campus Condorcet) et co-directeur de la collection L'envers des faits. Ses objets d'étude sont entre autres la mobilité sociale et la socio-histoire des élites scolaires. En 2014, il publie Passer les frontières sociales. Comment les « filières d'élite » entrouvrent les portes aux éditions Fayard (réédité en 2021 aux Ed. La découverte/Poche). Le livre retrace l'enquête ethnographique qu'il a menée pendant 5 ans auprès de jeunes ayant intégré une classe préparatoire réservée à des bacheliers ZEP dans un prestigieux lycée de province. En 2021 il sort Héritocratie. Les élites, les grandes écoles et les mésaventures du mérite 1870-2020 (col. L'envers des faits, Ed. La découverte) où il retrace l'histoire des grandes écoles — et à travers elles du mérite — de la IIIe République à parcoursup. 

POUR ALLER PLUS LOIN

Brice Couturier, La méritocratie en procès, 2020, 3x5min - A écouter [Cette série courte emmène l'auditeur dans un voyage transatlantique, sur les origines de la méritocratie et sur les critiques qui lui sont faites.]

Chantal Jaquet, Les transclasses ou l'illusion du mérite, 3 min 35, France Culture, 2018 - À regarder [capsule courte pour saisir les enjeux politiques derrière le discours sur le mérite.]

C ce soir (20 janvier 2022). La France : un pays d'héritiers ?. France 5. 67 min - À voir

Lola Guillot, « Quand on veut on peut. Pour en finir avec la méritocratie »,  Conférence gesticulée, 2018, 120 min - En intégralité [ancienne polytechnicienne et originaire d'un milieu modeste, L. Guillot raconte son expérience de première main des limites de la méritocratie.]

Nicolas Matthieu, « J'ai commencé à écrire pour rendre les coups », Bookmakers (Richard Gaitet, Arte Radio), 2021, 3x26min - À écouter [Goncourt 2018 pour son livre « Et leurs enfants après eux », Nicolas Mathieu est un transfuge de classe. Dans ce podcast en 3 parties il raconte comment ses origines sociales et géographiques ont influencé son parcours, son écriture et ses obsessions littéraires.]

Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les Héritiers (1964) et La Reproduction (1970) [Livres fondateurs de la pensée française contemporaine sur les échecs de l'école républicaine.]

EXTRAITS AUDIO

Son d'introduction // Marlène Schiappa à Sonia Mabrouk sur le plateau de CNEWS en septembre 2021 - Extrait / Jean Pierre Chevènement sur la discrimination positive dans le documentaire Sarko mot à mot réalisé par Claude Théret produit par France 2 en 2005 - extrait, Le Monde / Nicolas Sarkozy, discours sur la réforme du lycée en octobre 2009 - Vie publique / Thomas Piketty dans la Grande Table des Idées sur France Culture en septembre 2021 - YouTube.

Extrait // Pierre Bourdieu sur le système dual de l'éducation française dans l'émission Ne quittez pas l'écoute de Françoise Malletra en 1977 sur France Culture.   

Musique. Aretha Franklin, « Respect », 1967

Présentation et web Elsa Gavinet / Réalisation : Suzanne Saint-Cast / Musique originale : Julien Gaffiot

Emission enregistrée le 23 novembre et diffusée le 25 novembre 2021 de 20h à 21h.