Emergence musicale par le webzine du même nom • Novorama
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L’année 2013, c’était il y a 10 ans déjà, et pour les “homos” les “contre nature han” et autres personnes LGBTQI+, ça a été une année pour le moins éprouvante ! Si le mariage entre personnes du même genre a été légalisé, l’homophobie semble avoir été elle aussi autorisée. Dans les médias, dans les énormes manifestations de La Manif Pour Tous, les discours haineux, blessants et surtout illégaux allaient bon train.
C’est dans ce contexte assez plaisant que l’association FièrEs a vu le jour. Elle souffle sa dixième bougie cette semaine ! Alors aujourd'hui, dans Le Lobby, on revient sur l'histoire de FièrEs avec deux de ses militantes, Esther et Inès.
Quel souvenir est ce que vous vous gardez de l'année 2013, année de création de FièrEs mais aussi année des manifs pour le mariage pour toustes ?
Esther : Moi, en 2013, je faisais mes études et je me souviens surtout de mes cours de philogophie. J'avais un prof très réac qui voulait nous prouver par A plus B que l'homosexualité, c'était contre-nature. Et justement, mon envie de militer aujourd'hui, elle est née de ces discours haineux en 2013 autour de la PMA pour toutes, du mariage pour tous, et cetera.
Inès : Moi, en 2013, j'étais déjà une baby gouine, et j'avais eu ma première relation, et du coup, on avait manifesté. Je n'étais pas militante, mais on avait quand même participé aux manifestations. Et ce qui m'a marqué, c'est que quand la loi est passée, ma grand-mère m'a appelé et m'a dit « Inès, c'est super, tu vas pouvoir enfin épouser ta chérie ! » Donc même si c'était un instant de lutte, c'était aussi un instant de joie et ça nous a apporté beaucoup, je pense.
Est ce que vous pouvez m'en dire un peu plus sur la création de cette association ? Est ce que les événements de 2013 ont été les facteurs essentiels à cette création ?
À l'origine, les personnes qui ont créé FièrEs étaient dans une autre association féministe, et je pense qu'elles ont ressenti le besoin de créer une association féministe lesbienne spécifique pour pouvoir se concentrer spécifiquement sur notes luttes. C'était très important pour l'époue. Et clairement, je pense aussi que les évènements de 2013 ont joué aussi dans cette émulsion de militantisme.
En 2013, Fières s'est créée et s'est positionnée comme une association féministe, radicale, révolutionnaire et depuis, c'est une association qui mène vraiment toutes ces luttes dans une perspective féministe, anti-essentialiste, anticapitaliste, antiraciste, décoloniale, antigrossophobe, antivalidiste et éco-féministe.
Qu'est ce qui fait la spécificité de Fières par rapport à d'autres associations lesbiennes ou queer par exemple, comme les Inverti·e·s ou Divines ?
Je crois que ce qui nous différencie, c'est toute notre réflexion et notre engagement pour la la santé sexuelle des lesbiennes et des personnes trans. A ce titre, depuis 2015, on a des kits de santé sexuelle qu'on distribue sur des stands de prévention lors de soirées queers où il y a une population lesbienne. Donc ça va de la Wet For Me, par exemple, ou au festival Drama Queens cette année.
Comment ça se présente, un stand de prévention ? Comme on le disait tout à l'heure, ça fait depuis 2015 qu'on a créé ce kit de prévention pour les femmes et les personnes trans ayant des relations sexuelles avec des femmes, une personne trans. Et dans ce petit kit qui se met dans la poche, et ça, c'est hyper important, il y a du lubrifiant, des préservatifs externes, un gant, et une carte avec des contacts safe pour se faire dépister. Et depuis cette année, on a aussi rajouté une petite lime à ongles orange. Et ce kit, il a été pensé dans un contexte qui est toujours d'actualité, celui de l'absence totale de recherche et de financement en santé sexuelle pour les gouines.
C'est hyper politique en fait de pouvoir proposer un espace de dialogue et d'échanges et assez libre en fait autour de la sexualité et de la prévention en santé sexuelle. Et quand on dit que c'est politique, ça l'est vraiment. Parce qu'en faisant ça, en fait, on on ouvre aussi le débat, les questions et et on essaye à notre toute petite échelle en fait, de contrer un peu cette méfiance aussi qu'on a chez les gouines du corps médical dont la mission, c'est quand même de nous soigner, de prévenir, de nous accompagner dans le soin. Et et c'est vrai qu'encore une fois, il y a tellement rien qui est fait pour les lesbiennes que, en fait, à notre échelle au moins, on ouvre un dialogue possible avec des personnes qui se posent des questions, ou peut être qui se posaient pas de questions. Mais qui s'en pose en rencontrant? C'est souvent le cas, notamment avec la digue dentaire qui est et qui est très méconnue. Parce que d'une part parce que, comme je le disais, il n'y a pas de prévention autour de ça, donc forcément elle est inaccessible, elle est très chère et même dans nos pratiques, ce n'est pas du tout courant d'utiliser une digue dentaire.
Récemment, la librairie Violette and Co a rouvert. On les avait d'ailleurs reçus dans Le Lobby il y a deux semaines et on a vu que cette ouverture a été accompagnée d'énormément de joie et en premier lieu d'avoir un lieu queer et surtout lesbien. Est ce que vous avez des lieux où vous pouvez vous retrouver en tant qu'association?
Pas vraiment. Nous avons a des réunions hebdomadaires, qu'on organise à la Maison des associations de certains arrondissements. Mais on n'a pas de local fixe, on n'a pas de lieu fixe où se retrouver. On se retrouve beaucoup dans des lieux queer, dans des lieux de sociabilité queer... Et aussi chez nous, pour faire par exemple des arpentages, pour se former sur des questions, pour échanger sur des livres...
Vous avez aussi organisé la marche lesbienne 2023, et vous étiez présentes dans le Pink Bloc contre la réforme des retraites... Est ce que pour vous, c'est c'est important d'être aussi dans des manifs sociales, pas seulement LGBT, mais aussi, par exemple de vous insurger contre la réforme des retraites ?
Alors oui, l'intérêt associatif c'est hyper important. Le ping block, ça on y a participé pour justement créer en fait une synergie effectivement entre tous les collectifs LGBT qui existent pour s'investir aussi dans les luttes sociales qui nous concernent aussi. Donc ça a été le cas pour la réforme des retraites. Mais pour revenir aussi sur la marche lesbienne, effectivement on a on a organisé la troisième marche lesbienne de Paris. Il me semble que c'est la troisième. À l'occasion de la Journée de la visibilité lesbienne du 26 avril 2023, Ça a été une marche qui a rassemblé plus de 4 000 personnes contre la lesbophobie d'État et ordinaire qui engendre une précarisation de nos existences. Et je crois que même à travers ce mot d'ordre, on rassemble un peu tout le projet politique aussi de l'association.
Parce qu'en fait, la lesbophobie, ce n'est pas qu'une affaire d'actes individuels, c'est surtout une forme d'oppression systémique qui se coupe à la misogynie, au racisme, à la transphobie, au mépris de classe. Donc, quand on est appelé à marcher contre la lesbophobie en avril dernier, on a appelé à manifester contre tout ça, contre un État et sa dérive fasciste qui fait barrage à une société plus égalitaire en votant des lois ouvertement oppressives, en voulant faire passer par exemple cette réforme des retraites ou en passant sous silence aussi des sujets urgents.
Et puis, rien que 2023, ça a été vraiment un exemple de toute cette violence étatique. Donc on a parlé de la réforme des retraites, mais c'était aussi le rapport du GIEC qui est complètement ignoré et qui a des répercussions très concrètes sur nos identités queer. Quelques semaines avant la marche lesbienne, le Bonjour madame a dû fermer ses portes administrativement. Tout ça dans un contexte où cette année, il y a eu plein d'attaques hyper récurrentes qui visent des centres LGBT, comme à Saint-Denis, à La Réunion, à Nantes, Tours, Perpignan... Donc tout ça, c'est la lesbophobie d'État. C'est aussi l'absence totale de financement et de recherche en santé sexuelle pour les lesbiennes et les conséquences que ça a en termes de santé publique, c'est à dire des dépistages tardifs, voire inexistants, une mauvaise prise en charge et aussi le risque constant de faire face à des violences médicales en parlant de difficultés d'accès à la santé.
Est-ce que vous pensez que la séquence politique de la PMA pour toutes, dans laquelle vous avez évidemment été très mobilisées, c'est quelque chose de structurant pour le lesbianisme politique, tout comme celle du mariage pour tous est un marqueur dans le militantisme queer?
Je ne sais pas si c'est structurant, mais en tout cas, pour moi, ça a toujours fait partie des luttes essentielles pour les lesbiennes et du lesbianisme politique, notre droit à pouvoir enfanter sans avoir, sans être dépendante d'un homme. Et je pense qu'il y a quand même une portée, en tout cas sur le choix des femmes de le faire ou de ne pas le faire. Parce que quand on va voir, en réalité, il y a énormément de femmes hétéros qui font des PMA et de femmes seules qui choisissent de faire des enfants. Donc finalement, quelque chose qui profite aux lesbiennes, c'est quelque chose qui profite à tout le monde en réalité et c'est pour ça que c'est une lutte parmi d'autres luttes qui font partie du lesbianisme politique et qui sont, à notre sens essentielles. Les mêmes pièces, c'est les pièces d'un puzzle.
• Les Humilié.e.s : 10 ans après le mariage pour tous, l’heure du bilan, de Rozenn Le Carboulec (éditions Les Équateurs, 2023)
• Le HelloAsso de FièrEs pour adhérer ou soutenir financièrement l'association
• Tout le programme des 10 ans des FièrEs est à retrouver sur leur compte Instagram
• Le site internet de l'association
Présentation : Zoé Monrozier
Préparation : Diego de Cao et Nathan Binet
Réalisation : Colin Gruel