L'émission qui tourne pas rond • Le Monde Zygomatique
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L’association “Ensemble contre le sida”, devenue Sidaction en 2005, fête cette année son trentième anniversaire. C’est le 7 avril 1994 que la première émission du Sidaction est diffusée simultanément sur les sept chaînes de télévision de l’époque. Elle permet de collecter plus de 45 millions d’euros pour soutenir la recherche et les associations œuvrant sur le terrain de la prévention et de l’aide aux personnes malades du sida. Depuis, pour lutter contre ce virus et contre les injustices qu’il entraîne, la mobilisation n’a jamais cessé.
Penchons-nous alors sur ce virus, avec lequel vivent aujourd’hui en France 200 000 personnes, parmi lesquelles 5000 ayant découvert leur séropositivité en 2023.
Comment l’épidémie a-t-elle évolué depuis trente ans ? Comment les personnes touchées vivent-elles avec le virus ? Sommes-nous assez informés ? Quelles sont les nouvelles pistes abordées par la recherche ?
Pour en parler, nous recevons Sandrine Fournier, directrice du Pôle Financement des Associations chez Sidaction.
Racontez-nous l'histoire du Sidaction et les objectifs de l'association à sa création...
Sandrine Fournier : En fait, cette association, elle s'est créée à l'initiative de plusieurs associations qui sont des associations de terrain telles que l'association AIDES, Act-Up, Dessine-moi un mouton, qui suit à ce moment-là plus particulièrement les familles, les enfants atteints du VIH. Et ces associations, elles crient dans le désert à ce moment-là. C'est une époque où on est en 1994, où certes il y a des réponses, mais encore très insuffisantes, à la fois en termes de recherche, les besoins de recherche sont immenses. Vous le savez, en 1994, les trithérapies ne sont pas encore sur le marché, pas encore élaborées, donc les gens meurent. C'est vraiment une période terrible.
Donc c'est dans cette situation d'urgence à accompagner les personnes qui sont en train de mourir du sida, qui sont pour certaines d'entre elles et pour beaucoup d'entre elles, rejetées par leur famille, y compris traitées avec beaucoup de précautions à l'hôpital, victimes de discrimination de mille manières. C'est vraiment une période très noire, une période pendant laquelle, effectivement, on a besoin de recherche : à la fois de la recherche fondamentale, mais aussi de la recherche en sciences sociales pour comprendre quels sont les freins au dépistage, ou pour comprendre quelles sont les représentations dans telle ou telle communauté qui vont conduire les gens à ne pas recourir aux soins, etc. Et la recherche fondamentale est nécessaire en en premier lieu pour essayer de trouver un vaccin, mais plus globalement pour essayer de comprendre comment le système immunitaire réagit face à ce virus qui est extrêmement complexe et qui l'attaque. Le VIH est très particulier.
Et donc quelles sont les différentes actions que le Sidaction met en œuvre? C'est notamment du soutien à la recherche ?
Sidaction finance pour un tiers des actions de recherche, pour un tiers des actions associatives en France et pour le dernier tiers des actions associatives à l'international. À l'international, c'est principalement en Afrique subsaharienne. On finance des actions dans 18 pays, dont 15 en Afrique subsaharienne et Afrique du Centre et dans trois pays d'Europe de l'Est. Vous le savez peut-être, aujourd'hui, c'est en Europe de l'Est que l'épidémie flambe à nouveau.
En 30 ans, qu'est ce qui a changé pour le Sidaction?
Alors d'abord, ce qui a été incroyable, c'est 1996. C'est l'arrivée des trithérapies, des gens qui allaient mourir et qui savaient qu'ils allaient mourir, se trouvent littéralement sauvés par les trithérapies. Des médicaments qui, notamment pour les premières générations de médicaments, sont quand même des traitements très lourds. Je me souviens des ami.es à l'époque qui prenaient une trentaine de comprimés par jour à heure fixe, avec des effets secondaires vraiment vraiment difficiles, mais néanmoins, qui leur ont sauvé la vie. Donc ça change tout en France et dans les pays qui ont accès à ces traitements, il faudra qu'on se batte pendant des années pour que les pays africains, notamment, où l'épidémie est la plus forte, aient accès aux antirétroviraux.
Mais en tout cas, c'était un premier signal très fort, une première étape très importante. Ensuite, évidemment, on a besoin de continuer à financer la recherche parce que le vaccin, il n’y en a toujours pas, et aujourd'hui encore, toujours pas. Alors je dirais que 30 ans voire 40 ans de recherche vaccinale, ça n'a pas du tout servi à rien. Il faut bien avoir conscience que les équipes qui ont élaboré un vaccin contre le SARS-COV 2 en un an sont les mêmes qui travaillent sur le VIH depuis 40 ans. C'est-à-dire que c'est aussi parce que ce virus est si complexe et qu'il est si difficile de trouver un vaccin que ça nous a fait beaucoup avancer sur la compréhension du système immunitaire et que toutes ces recherches, elles ont aussi pu bénéficier à d'autres pathologies, au cancer notamment.
Donc on continue à chercher. C'est très très difficile de trouver un vaccin contre le VIH mais aujourd'hui, on a beaucoup avancé sur les traitements. Aujourd'hui, en France, on a accès à 90 lignes de traitements différents puisque comme vous le savez peut-être un virus va s'adapter et petit à petit créer des résistances avec les traitements. Donc on a toujours besoin de créer de nouveaux traitements, de nouvelles molécules. Il faut toujours avoir une longueur d'avance sur le virus. Cette capacité, on l’a en France mais malheureusement pas partout dans le monde. Beaucoup de gens ont accès à une ligne de traitement et c'est tout : que ça marche ou que ça ne marche pas, il n'y a pas autre chose.
C'est aussi pour ça qu'on est présent·e·s dans ces pays là en particulier en Afrique subsaharienne et du Centre où là, la question de l'accès aux traitements est particulièrement prégnante pour les enfants. On estime à 39 millions le nombre de personnes qui aujourd'hui vivent avec le VIH dans le monde. 9 millions, soit à peu près un quart, n'ont pas accès aux traitements. Mais ça fait quand même 30 millions qui y ont accès : c'est déjà un progrès vraiment considérable. En revanche, on voit qu'en Afrique de l'Ouest et du Centre, plus de la moitié des enfants infectés n'ont pas de traitement. Donc il y a encore beaucoup de travail à faire.
C'est aussi grâce aux dons qui sont faits pour le Sidaction que cette recherche peut être financée ? J'ai vu que vous organisez le samedi 23 mars 1 soirée événement diffusé sur France deux avec plusieurs artistes. Quel est l'objectif de cette soirée? Je suppose que c'est un moment où vous récoltez beaucoup de dons et peut être même le plus ?
Tout à fait. Ça, c'est un moment phare de notre collecte, qui n'est pas seulement concentrée sur ce prime à la télévision, sachant qu'aujourd'hui beaucoup de gens d'abord ne regardent pas la télévision, sont plutôt sur les réseaux sociaux, ou bien regardent en replay. Mais on sait aussi qu'on a des donateurs et donatrices fidèles, qui pour beaucoup sont des personnes plus âgées et qui regardent la télévision. Donc pour eux et elles, ça fait sens, avec une certaine affection pour Line Renaud et ses comparses qui vont animer la soirée. On va revenir sur ces 30 ans au cours de cette soirée, à la fois avec des témoignages, des images d'archives, puis aussi de la culture pop qui a émaillé ces 30 ans et qui a aussi accompagné la lutte.
Donc si on veut soutenir le Sidaction, comment faire ? J'imagine qu'on peut faire des dons toute l'année. Est-ce possible de participer à des actions un peu plus concrètes ?
Faire des dons toute l'année,oui, tout à fait, en particulier sur Sidaction.org, mais aussi par courrier, on peut tout simplement envoyer un chèque. Pendant cet événement médiatique, cette période du Sidaction Média, on ouvre un numéro de téléphone, le 110, qui est un numéro gratuit que l'on peut appeler pour faire une promesse de dons. Et là, nous mobilisons des bénévoles qui répondent à ces appels qui enregistrent les coordonnées des personnes et ensuite ces personnes sont recontactées pour confirmer leurs dons. On peut aujourd'hui aussi faire un don par SMS, un don de 10 € en envoyant le mot DON au 92 110.
Aujourd'hui, le sida, on en est où ? Et comment l'épidémie a-t-elle évolué ces 30 dernières années ?
Sandrine Fournier : Alors je dirais qu'aujourd'hui, on est vraiment sur le dernier kilomètre en France et dans les pays occidentaux. Il y a encore beaucoup de problématiques en Afrique parce que le continent africain et dans d'autres régions du monde, comme en Asie en particulier, là où les systèmes de santé ne sont pas très robustes, le VIH est une problématique, mais ils ont bien d'autres problématiques de santé. Le VIH, pour vous donner un exemple, en Afrique par exemple, nous finançons des programmes que l’on appelle PTME pour Prévention de la Transmission de la Mère à l'Enfant. Typiquement, en France, il n'y a plus de transmission de la mère à l'enfant.
Une mère qui, au cours de la grossesse, au cours de l'accouchement ou de l'allaitement, va transmettre le VIH, ça n’existe plus beaucoup, tout simplement parce que les femmes sont systématiquement dépistées avec leur consentement mais elles le sont vraiment très systématiquement. Dès lors qu'une femme est dépistée positive, elle bénéficie d'un traitement. Le traitement aujourd'hui permet de ne pas transmettre le VIH ni à son enfant ni à son partenaire sexuel. C'est vraiment quelque chose que je trouve important de répéter parce que malheureusement, ça semble difficilement imprimé dans les oreilles du grand public.
Une personne qui vit avec le VIH aujourd'hui, qui prend son traitement, ne transmet pas le VIH. C'est ça aussi la force du traitement. C'est pourquoi le traitement participe de la prévention. C'est pourquoi aussi, il est très important aujourd'hui de se faire dépister, tout simplement parce qu'en étant dépisté, on est traité. C'est d'abord pour soi car quand on est traité tôt, on sait qu'aujourd'hui, qu’avec les médicaments actuels, on a une espérance de vie qui est tout à fait égale à celle de la population générale. Et évidemment, ça a un impact considérable sur la dynamique de l'épidémie, puisqu'on ne transmet pas le VIH. C’est pourquoi on insiste beaucoup sur le dépistage, c'est la pierre angulaire aujourd'hui de la prévention, parce que les gens qui aujourd'hui transmettent le VIH sont des gens qui ne se savent pas porteurs du voyage.
Donc aujourd'hui, on a quand même de moins en moins de cas ?
Alors tout à fait, on voit une baisse. Ça prend beaucoup de temps puisqu'on a encore 5000 nouveaux diagnostics comptabilisés en 2022. C'est encore trop, mais c'est quand même une baisse significative. Moi, quand j'ai commencé il y a un peu plus de dix ans à Sidaction, on était plutôt autour de 6000, ou 7000. On voit d'ailleurs l'évolution : les nouveaux diagnostics nous renseignent aussi sur ce qui marche et ce qui ne marche pas. Ce qui est très significatif, c'est que lorsque je commence à Sidaction, je commence comme chargée de mission prévention gay et ce sont la majorité des hommes homosexuels qui sont concernés par les nouveaux diagnostics à l'époque.
Aujourd'hui, ça a fortement baissé. Aujourd'hui, c'est 41 % des hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes qui sont concernés par les nouveaux diagnostics : c'est encore très important, mais ça a quand même considérablement baissé. C’est sans surprise parce qu'on dispose aujourd'hui d'un médicament qui s'appelle la PrEP. Pendant longtemps, on ne disposait que d'un outil, c'était la capote. Aujourd'hui, on a heureusement la PrEP. La PrEP est très efficace. Ça consiste en la prise d'un médicament, soit de manière continue si on a une sexualité très active, soit avant et après un rapport sexuel, et qui empêche l'acquisition du VIH avec un très haut niveau de protection. On a pu déployer cet outil au sein des communautés gays les plus actives sexuellement, et on voit que ça a directement un impact sur l'épidémie. On a constaté que, parmi les hommes gais, eh bien, les hommes gays nés à l'étranger, les nouveaux diagnostics ne diminuent pas. Ils ne diminuent pas précisément parce que ces personnes-là sont plus éloignées de la PrEP. La PrEP est surtout prise par des hommes plutôt avec un haut niveau d'éducation, plutôt bien insérés, plutôt blancs.
Donc là, on a des on sait où on doit mettre le paquet aujourd'hui précisément, auprès de sous-groupes, notamment les HSH, c'est-à-dire les hommes gays noirs en particulier, parce qu’ils sont particulièrement exposés et à la fois plus éloignés des outils de prévention et du soin.
Est ce qu'il y a d'autres groupes qui sont particulièrement touchés par le sida?
Tout à fait. Le deuxième groupe le plus exposé aujourd'hui, c'est le groupe des personnes originaires d'Afrique subsaharienne. Pendant très longtemps, on pensait que ces personnes, pour la plupart d'entre elles, avaient contracté le VIH dans leur pays d'origine en Afrique. En réalité, une étude réalisée il y a une dizaine d'années nous a montré que la moitié des personnes africaines qui vivent en France avec le VIH l’ont contracté en France et ça c'est complètement corrélé à leur situation de précarité. C'est-à-dire que c'est tellement difficile, lorsqu'on est en France, sans papiers notamment, d'obtenir au fil du temps une situation stable, c'est-à-dire un logement, la possibilité de travailler, etc, qu’en particulier, les femmes sont dans ces périodes-là, des premières des premiers temps arrivés en France, très exposées aux violences sexuelles, sont parfois contraintes de monnayer un hébergement, de la nourriture pour leurs enfants contre relation sexuelle. C'est comme ça qu'elle contracte le VIH.
On est dans des situations où effectivement il faut regarder les différents groupes puisqu’ils ne sont pas exposés de la même manière, ni pour les mêmes raisons. On mesure aujourd'hui davantage la situation des personnes trans. Aujourd’hui, dans ce qu'on appelle la déclaration obligatoire pour le VIH que doivent réaliser les médecins qui découvrent un diagnostic, on inclut des questions qui incluent les personnes trans.
Auparavant, on inscrivait les personnes soit dans hommes ou femmes, et de la même manière que pendant très longtemps, on était soit un homme gay, soit un homme migrant, mais on ne pouvait pas être les deux. Et c'est justement quand les associations, en l'occurrence Sidaction, ont alerté Santé Publique France en disant “Attention, là on a un angle mort sur l'épidémie. Ce sont par exemple les hommes gays noirs.” Alors, Santé publique France, à ce moment-là, a mis en place de nouvelles questions dans la surveillance systématique. Et là, on s'est rendu compte qu'il y avait un sous-groupe particulier et qui n'était pas du tout dans la même situation, vis-à-vis du VIH que les hommes gays blancs. Les actions que le Sidaction finance sont des actions qui ciblent les groupes les plus exposés.
On travaille aussi avec les travailleureuses du sexe. On finance beaucoup les associations communautaires qui accompagnent les travailleuses et les travailleurs du sexe. Pour cette population, en France, on n'a pas de chiffres. Mais on sait qu'à l'échelle du monde, on dispose de données qui montrent que ces personnes sont particulièrement exposées. Et nous, ce qu'on sait, c'est que les travailleurs et travailleuses du sexe étaient très efficaces sur le port du préservatif. Mais ce qu'on voit, c'est que la loi de 2016 qui pénalise les clients de la prostitution a eu un impact très négatif sur l'exercice de ce métier, en obligeant les femmes à se cacher davantage, donc à s'exposer à davantage de violences, elles sont moins visibles, elles sont plus éloignées, plus éloignées aussi des associations de prévention qui avaient l'habitude de distribuer des préservatifs, de venir apporter du soutien. Elles sont obligées d'être beaucoup plus mobiles, de se cacher. Et elles sont dans cette situation où c'est le client qui prend un risque légal. Elles sont moins dans une capacité à négocier le préservatif avec le client et par ailleurs, comme il y a aussi moins de clients, il y a la nécessité d'accepter parfois des gens qu'on n'accepterait pas si on avait le choix et parfois accepter des rapports sans préservatif. Donc, par exemple, nous, la question de donner accès à la PrEP aux travailleuses du sexe dans ce contexte est l'un des enjeux aujourd'hui.
Il y a aussi des personnes incarcérées qui sont plus particulièrement concernées par le VIH, soit en raison de l'usage de drogues, soit de relations sexuelles. On finance aussi des associations qui vont faire de la prévention au sein des maisons pénitentiaires. Donc les groupes qui sont les plus exposés au VIH aujourd'hui sont les hommes homosexuels, qu'ils soient noirs ou blancs, mais particulièrement les hommes homosexuels noirs, et les personnes originaires d'Afrique subsaharienne.
Pour se protéger, comment fait-on? Vous avez cité la PrEP. Est-ce qu'on peut rappeler un peu ce que c'est et comment on peut faire pour se le faire prescrire, et d'autres moyens peut-être qu'il serait bon de connaître ?
Oui, tout à fait. La PrEP est accessible aujourd'hui chez le médecin généraliste. Ce n'était pas le cas autrefois : aujourd'hui, vous pouvez demander la PrEP à votre médecin généraliste. Il va vous poser un certain nombre de questions. La recommandation est de la donner aux personnes qui disent en avoir besoin, tout simplement. Pendant très longtemps, c'était plutôt réservé aux hommes gays. Aujourd'hui, on s'accorde tous et toutes sur le fait que si une personne déclare qu'elle a besoin de la PrEP, il faut lui donner. C'est donc un médicament qui a, semble-t-il, d'après les études dont on dispose, très peu d'effets secondaires, qui est très efficace et qui se prend soit de manière continue tous les jours, soit avant et après un rapport sexuel.
Il faut quand même rappeler que la PrEP ne protège pas des autres IST, qui sont vraiment en forte augmentation partout en Europe, chez les jeunes en particulier les infections comme les gonocoques, les chlamydias, la syphilis. La PrEP protège très bien du VIH, mais en revanche pas des IST, des infections sexuellement transmissibles. En revanche, lorsque vous prenez la PrEP, vous avez un suivi qui vous conduit à faire des check-ups réguliers des autres IST, donc ça permet aussi de les traiter puisque la plupart se soignent très bien en fait, mais il suffit de les diagnostiquer.
Et donc je suppose que le dépistage fait aussi partie de la prévention. Comment ça se passe un dépistage et où et comment on peut se faire dépister?
Aujourd'hui, rien de plus simple. On se souvient il y a encore 10 ans ou 20 ans, se faire dépister, c'était pas simple, il fallait aller dans un centre de dépistage anonyme et gratuit éventuellement, ou avec une ordonnance dans un laboratoire. Il fallait attendre une semaine le résultat et quand on avait pris un risque, c'était une semaine d'angoisse.
Aujourd'hui, il n'y a rien de plus simple, il y a 36 moyens de se faire dépister. On va même aujourd'hui dans n'importe quel labo de ville sans ordonnance se faire dépister gratuitement. On peut aller dans ces centres de dépistage qui s'appellent les CeGIDD, c’est assez intéressant parce qu'ils peuvent proposer toutes sortes de dépistages et notamment des autres IST. Vous y êtes accueilli.es par des professionnel.les qui vont vous accompagner, discuter avec vous pour essayer de voir quelle serait la meilleure stratégie de prévention selon vos pratiques, puisque des stratégies de prévention, il en existe différentes plus ou moins adaptées selon les préférences des personnes, leur mode de vie, etc. Dans ces centres de dépistage, on est sur une prise de sang, mais cette fois-ci avec un résultat très rapide : c'est 24h pour avoir un résultat. Surtout, aujourd’hui, on peut obtenir un résultat avec un dépistage, ce qu'on appelle les TROD, les tests d'orientation diagnostiques, c'est-à-dire c'est une goutte de sang prélevée au bout du doigt et un résultat en 15 minutes. Ces tests sont très fiables et sont proposés par beaucoup d'associations gratuitement.
Enfin, il y a les auto-tests qu'on peut acheter en pharmacie, eux aussi assez efficaces, qui sont autour de 10€. Les autres dispositifs sont gratuits, rapides. Si vous voulez savoir ou vous faire dépister autour de chez vous, soit par un test rapide, soit par une prise de sang, vous appelez SIDA Info Service ou vous allez sur leur site et ils tiennent à jour quotidiennement les lieux de dépistage, les horaires d'ouverture, etc. Où que vous soyez en France, c'est très facile d'avoir accès au dépistage aujourd'hui.
Et donc si le résultat est positif, qu'est ce qu’il se passe ? Comment les personnes touchées vivent-elles avec aujourd'hui ?
Alors, je dirais que ça ne demeure pas une bonne nouvelle, c'est-à-dire que c'est quand même un choc d'apprendre ça. Pourquoi c'est un choc? Parce que même si les traitements sont très efficaces, il s'agit de les prendre toute sa vie, ce n’est pas rien. Pour l'instant, on ne guérit pas du VIH, mais c'est vrai que pour beaucoup de jeunes, il y a une forme de banalisation. C'est devenu une maladie chronique, on prend des traitements et c'est bon… En réalité, là où ça coince, c'est là où on a vraiment pas fait de progrès, c'est sur la stigmatisation et la discrimination des personnes qui vivent avec le VIH.
Aujourd'hui, c'est toujours aussi difficile qu'il y a 30/40 ans de vivre avec le visage psychiquement. C'est très différent parce que ce n'est plus une annonce de mort, mais c'est quand même une annonce de mort sociale. C'est là aussi que les associations que nous finançons jouent un rôle important, parce que vous n'imaginez pas le nombre de gens qui franchissent les portes de ces associations et qui n'en n'ont jamais parlé à personne, ni à leur conjoint, ni à leur famille, ni à leurs amis. Aujourd'hui, c'est vraiment devenu une maladie du secret. Les associations permettent des lieux où on peut en parler, on peut rencontrer des gens qui sont dans la même situation, on peut échanger dans des groupes de parole autour de comment on annonce sa séropositivité dans tel ou tel contexte, à son conjoint, à ses parents. A chaque fois, c'est un coming-out.
Depuis que le Sidaction existe, la connaissance qu'on a du virus s'est largement enrichie. Et pourtant, on peut voir notamment sur les réseaux sociaux qu'il y a encore de la désinformation qui circule puisque j'ai vu qu'un jeune sur trois pense que le Sida peut se transmettre par la salive, selon un sondage du Sidaction mené en 2023. Et justement, par rapport à ces clichés, ces idées reçues, comment expliquez-vous qu'il y ait encore autant de lacunes dans la connaissance qu'ont notamment les jeunes de 15-24 ans de cette maladie ?
C'est une bonne question parce que, malheureusement, on mesure ça tous les ans. On réalise des sondages autour des connaissances à la fois des modes de transmission, des moyens de prévention et des idées aussi, des représentations et des comportements des jeunes. Effectivement, malheureusement, on ne peut que constater une perte des connaissances, tant sur les modes de transmission que sur les moyens de prévention. Ça n'avance pas, les représentations persistent. Je reprends les chiffres du sondage que vous que vous évoquez, qui a été réalisé en décembre 2023. On a interrogé les jeunes, ce qu'on fait tous les ans à cette occasion, et les moins jeunes. On voit que, jeunes comme moins jeunes, ils sont à 44 % à déclarer qu'ils seraient mal à l'aise s'ils apprenaient que la personne qui garde leurs enfants était séropositive. Un tiers serait mal à l'aise de partir en vacances avec une personne séropositive. Et chez les 15-24 ans, 41 % déclarent qu'ils auraient honte de parler à leur entourage de leur séropositivité s'ils étaient séropositifs. Plus d'un quart d'entre eux pensent qu'une personne séropositive sous traitement peut représenter un danger pour les autres. C'est vous dire si en matière de représentation, de stigmatisation, de discrimination, là-dessus, on n'avance pas du tout.
Pourquoi?
Je pense que c’est parce que c'est devenu beaucoup plus lointain, c'est-à-dire que moi j'ai 54 ans, quand j'avais 20 ans, le VIH était très présent, on avait de l'information, les médias en parlaient beaucoup, des personnes témoignaient aussi de leur vécu avec le VIH, c'était quelque chose qui était incarné. Aujourd'hui, on en parle très peu. On en parle deux fois par an à l'occasion du Sidaction et du 1ᵉʳ décembre. Un de nos combats “vénères”, c'est la question de l'éducation à l'école.
Il y a une loi de 2001, qui a donc plus de 20 ans, qui impose dans chaque établissement, du CP à la Terminale, chaque année, trois séances d'éducation à la vie affective et sexuelle, parce qu’évidemment, ce sont des des séances qui doivent s'adapter aux questions des jeunes et à leur âge. C’est imposé par la loi et on n'avance pas : moins de 15 % des jeunes bénéficient de ces séances. C’est par l’école qu'on peut aborder non seulement les questions de VIH ou d’IST, mais aussi d'autres questions qui portent sur les questions relationnelles, sur le consentement, l'apprentissage des différences, le respect de son corps… Aujourd’hui, ce n’est pas quand on entre dans la sexualité, vers 17 ans en moyenne en France, qu’en claquant des doigts, parce qu'on sait que le VIH existe, on va être en capacité d'imposer le préservatif ou tout simplement d'en discuter avec son partenaire ou sa partenaire. C'est pas si simple de vivre un premier rapport sexuel, qui qu'on soit, donc la question de la protection, de la pensée du VIH ou des maladies dans ce contexte n'est pas évidente. C’est si on a effectivement préalablement appris à connaître son corps, à se respecter, à communiquer avec l'autre qu'on sera en capacité de se protéger.
Donc il faudrait vraiment miser sur ces cours à l'école pour pouvoir avoir une meilleure information… Et est-ce qu'il y a d'autres manières de s'informer mieux, pour pouvoir faire en sorte que ces clichés soient petit à petit combattus ?
“S'informer mieux” est une bonne formulation, parce que s'informer, on voit que lorsque l’on a accès à Internet, les informations sont de toutes sortes, de différentes natures, plus ou moins fiables. Il y a des sites très fiables pour obtenir de l'information sur le VIH, par exemple celui de SIDA Info Service, mais aussi celui de Santé publique France qui propose un site dédié aux plus jeunes : Onsexprime.fr, qui est extrêmement clair, ludique, précis et fiable sur le VIH et sur la santé sexuelle de manière plus large. Oui, il existe des sources d'information, encore faut-il les connaître. L'école serait le lieu adéquat pour indiquer aux jeunes quelles sont les bonnes sources d'information.
Aujourd’hui, il y a des traitements qui existent pour que les personnes qui vivent avec le VIH évitent de le transmettre…
Tout à fait. Et si elles sont traitées suffisamment tôt, elles ne développent pas d'autres pathologies. Aujourd'hui, la moitié des personnes qui vivent avec le VIH en France ont plus de 50 ans. Pour les personnes qui ont contracté le VIH dans les années 1980, qui ont eu à subir des traitements extrêmement lourds… Pour ces personnes-là, il y a des risques de développer d'autres maladies comme des cancers à un plus jeune âge, des problèmes cardio-vasculaires… Mais pour les personnes qui ont été dépistées tôt et traitées tôt, ces problématiques ne se posent pas pour l'heure. Elles vivent à peu près normalement, avec un comprimé par jour. Aujourd'hui on développe, y compris des médicaments qui peuvent être injectés pendant deux mois par exemple. Donc une injection tous les deux mois et ça va aller en s'améliorant. Je pense qu'on va bientôt passer à trois mois, six mois.
Depuis le patient de Berlin en 2012, cinq personnes ont guéri du VIH. Est-ce un espoir ?
Il faut se méfier d'abord du terme “guérir du VIH” parce que pour l'heure, on n'est pas en capacité de savoir si, y compris ces personnes-là n'ont vraiment plus de VIH dans le corps. Le VIH, c'est très compliqué, c'est-à-dire qu'il y a dès les premiers jours de l'infection, des réservoirs qui se constituent, c'est-à-dire du virus planqué dans des cellules qui restent à l'état latent. Ce virus-là est inatteignable pour les médicaments. Les médicaments vont s'attaquer à du virus qui est actif, qui est en train de se reproduire, qui est à différents niveaux du cycle viral. Ces personnes-là sont des personnes qui avaient des cancers, qui ont reçu un traitement extrêmement lourd, c'est-à-dire qu’on a complètement remplacé leur système immunitaire. C’est en faisant cette opération extrêmement lourde, extrêmement dangereuse aussi, que ces cinq personnes-là se sont trouvées recevoir du matériel, du sang, des plaquettes, etc., de donneurs qui étaient porteurs d'un gène particulier qui fait qu'ils sont résistants au VIH, que le VIH ne peut pas pénétrer dans leurs cellules. C'est ça qui s'est produit. Comprenez bien qu’on ne peut pas répliquer cela pour la population générale.
Alors en attendant d'avoir un vaccin, le point d'orgue de la recherche aujourd’hui, c'est la rémission. On va essayer de faire en sorte de complètement expurger ces cellules qui constituées en réservoirs du VIH à l'intérieur du corps, par plein de techniques différentes, notamment une technique de “chock and kill”, en essayant de réveiller ce virus latent, pour tuer les cellules infectées. Il y une autre stratégie qui consiste à essayer, justement sur la base de ces patients qui arrivent naturellement à contrôler le virus, on s'est rendus compte que ces patients là développaient à l'intérieur de leur corps des anticorps particuliers qu'on appelle “anticorps à large spectre” : ils sont pourvus de ces anticorps beaucoup plus que la population générale. On est en train de réfléchir actuellement à la possibilité d’injecter ces anticorps à large spectre refabriqué pour voir s’ils arrivent à avoir un impact sur les réservoirs du virus. Ce sont des stratégies complexes, mais ce qu'on essaie d'atteindre aujourd'hui, c'est la rémission, c'est-à-dire avec un traitement : ne plus jamais en prendre, donc peut-être avoir encore du virus dans le corps, mais qui n'est pas actif, qui est désactivé.
• On peut faire des dons au Sidaction en envoyant "DON" au 92110
• Le site de Sida Info Service : https://www.sida-info-service.org/
• À VOIR : La puissante série It's a sin, réalisée par Russell T Davies, en ce moment disponible gratuitement sur la plateforme France TV Slash : https://www.france.tv/france-2/it-s-a-sin/
• À ÉCOUTER : Notre entretien avec le militant anti-Sida Fred Colby : https://www.radiocampusparis.org/emission/Pjz-le-lobby/zvlq-la-lutte-contre-le-vih-avec-fred-colby-leurope-face-aux-lgbtphobies-avec-lelc
• Rendez-vous le 23 mars sur France 2 pour un prime spécial à l'occasion des 30 ans du Sidaction !
Présentation : Juliette Mouëllic
Réalisation : Colin Gruel