Pharoah Sanders • Harvest Time
Chaque année, le 20 novembre, c'est le TDoR, pour "Trans Day of Remembrance", ou journée du souvenir trans. Une journée de deuil, certes, mais aussi une occasion de se rassembler. Et, pourquoi pas, dans la joie.
[TW : Transphobie]
Depuis 1998, des associations trans comptent chaque année leurs mort·e·s. Le chiffre donné est stable depuis quelques années, un peu au-dessus des 300 personnes décédées dans le monde, suite à un meurtre ou bien un suicide. 94% sont des femmes. Le nombre tragique est annoncé chaque année le 20 novembre, à l'occasion de la Journée du souvenir trans.
De cette journée de deuil, des associations veulent désormais faire aussi un moment fédérateur et joyeux. Ce samedi, Acceptess-T et le FLIRT nous accueillent à la Flèche d'or pour une soirée festive.
Pour parler de l'histoire du TDoR et de son avenir, nous recevons deux invitées :
• Daisy Letourneur, autrice de On ne naît pas mec (Zones/La Découverte), militante au sein du collectif Toutes des femmes, qui lutte contre la transmysoginie et les discours des TERFs
• Giovanna Rincon, directrice de l'association Acceptess-T
« Oui, un jour je vais écrire des choses, toutes sortes de choses, des choses auxquelles personne n’a pensé avant et des choses qu’on ne va jamais croire : des histoires de filles qui se sauvent pour pour trouver là où vit La Mort et qui reviennent avec à la main des crânes remplis de feu. À propos des filles qui volent des souliers rouges sang et se retrouvent en train de danser avec le diable jusqu’à la fin des temps. À propos de garçons qui deviennent des filles, des filles qui deviennent des garçons et des personnes violentes, dangereuses, apprenant à enfin trouver l’amour dans l’obscurité. »
Une question un peu intime pour commencer : quelles sont vos joies trans ?
Daisy Letourneur : Ma joie trans, c'est sans doute principalement dans le militantisme que je la trouve. Parce que moi, j'ai commencé ma transition il y a il y a cinq ans, alors ça a un peu perdu de sa nouveauté. Aujourd'hui, en fait, je peux considérer que la transition n'occupe plus une énorme place dans ma vie, si ce n’est par le militantisme. Je trouve beaucoup de joie dans la lutte.
Giovanna Rincon : Ma joie, je la trouve dans la solidarité. Quand j’arrive à aider les gens que je rencontre à surmonter des étapes difficiles. C'est une joie immense quand on sait que quelqu'un arrive finalement à dépasser des moments, des traumatismes, des difficultés liées par exemple à la précarité. C'est une question centrale dans le militantisme, et elle est extrêmement joyeuse. Sans la solidarité, on ne peut rien faire.
C'est cette solidarité qui est au cœur du TDoR. Est ce que vous pouvez nous rappeler les circonstances de la création de cette journée ?
Giovanna Rincon : Sa création remonte à 1998, lorsqu’une femme trans a été assassinée. Une de ses amies a voulu lui rendre hommage, en essayant aussi d’envoyer un message : “On n'oublie pas”. Le TDoR, c’est un acte de commémoration, mais l’idée c’est aussi de faire naître un acte politique à partir de ça.
Une veillée commémorative aura donc lieu à Paris le 20 novembre à 18 heures, place Vaudoyer. En quoi c'est important et politique de faire une veillée sur dans un espace public?
Daisy Letourneur : C'est important parce que les personnes trans qui meurent chaque année, parce qu'elles sont trans, très souvent, on n'en entend pas parler ou on en entend mal parler.
En février de cette année, au Royaume-Uni, une jeune ado trans du nom de Briana Ghey a été assassinée. Et la presse, notamment le Times anglais, a d'abord écrit un article pour parler de cette jeune ado brutalement assassiné avant de réaliser qu’elle était trans. Ils ont alors immédiatement changé leur article pour la mégenrer et parler d'un jeune adolescent. Les associations ont lutté pour que son identité de genre soit respectée, sans succès. Elle n'avait pas encore pu faire son changement d'état civil. Par la suite, ses parents ont été victimes de harcèlement en ligne.
Voilà donc la réalité des morts trans, y compris les morts violentes. C'est l'obscurité ou la maltraitance, voire souvent les deux. Donc cette journée, c'est une occasion de reprendre pour nous, avec nos mots, l'hommage à nos frères et à nos sœurs, à tous nos à adelphes qui qui sont décédés dans l'année, leur rendre un hommage avec des termes qui sont respectueux. Il faut rappeler que ce problème est politique en fait : on ne peut pas continuer à ignorer ainsi les violences qui sont faites aux personnes trans.
Daisy Letoureur, tu milites au sein de l'association Toutes des femmes qui permet de faire front avec le militantisme féministe qui réaffirme la place des femmes trans dans la lutte. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur vos actions ?
Daisy Letouneur : L'asso Toutes des femmes a été fondée en 2020. Ça fait donc un peu plus de trois ans qu'on milite ensemble avec des personnes trans et des personnes cis auprès des médias, auprès des assos, principalement les assos féministes, pour porter un discours féministe qui soit inclusif des personnes trans et des et des femmes trans.
Je vais vous donner un exemple très récent. Cette semaine, l'influence et autrice Lexie (@aggressively_trans) a annoncé que son invitation à un festival féministe avait été suspendue. Elle devait participer notamment à une table ronde sur les violences faites aux femmes, et elle a appris par un email peu délicat que finalement, sa présence en tant que femme trans à une table ronde sur les violences sexuelles ne plaisait pas à tout le monde parce que, d'une part, il n'y aurait pas eu cette année dans le décompte officiel des victimes de féminicides de femmes trans en France. C’est vrai, mais c’est parce que nous sommes une minorité ! On pourrait pourtant parler de tout un tas d'autres violences. On pourrait parler de personnes poussées au suicide aussi, mais ça ne rentrait pas dans les cases définies. D’autre part, on lui a dit que certaines personnes ne seraient pas à l'aise de témoigner de violences sexuelles en présence d'une femme trans. Sous-entendu : on te voit comme un homme, comme un agresseur potentiel. Là, on a un cas flagrant de transphobie dans un événement qui se dit féministe.
Nous, avec Toutes des femmes, on propose des formations. On fournit des outils et des infos aux organisations, notamment féministes, pour pour que ce genre de choses ne se reproduise pas, pour que les personnes qui veulent nous défendre en interne, qui sont trans ou cis, et qui n'ont peut être pas les outils, sachent comment faire, sachent quoi répondre face à une situation comme ça qui nous nous paraît inadmissible.
Le dernier rapport de SOS Homophobie alerte sur une augmentation des violences envers les personnes trans. Et selon l'organisation Transgender Europe, 94 % des victimes de meurtres transphobes qui ont lieu en 2023 sont des femmes. Pourquoi est-ce que ce sont les femmes trans qui subissent le plus de violences, selon vous ?
Giovanna Rincon : Il faut préciser que la plupart des ces femmes, ce sont des femmes trans, en majorité racisées, travailleuses du sexe, beaucoup sans papiers. Je pense que les femmes trans sont, comme toutes les femmes, beaucoup plus exposées socialement à toute forme de violence. Être femme aujourd'hui dans cette société, c’est commettre une sorte de délit de faciès du genre. Donc quand tu es une femme trans, et notamment quand tu es en début de parcours de transition, que tu pratiques le travail du sexe, et que tu portes des tenues jugées trop exubérantes pour pouvoir travailler, tu es très vulnérable.
En plus, il faut rajouter aussi les politiques répressives à l’encontre du travail du sexe. En France, depuis 2016, il y a une loi qui pénalise les clients des travailleuses du sexe. Ce qui fait qu'aujourd'hui, les femme trans, par exemple au bois de Boulogne, elles sont obligées de s’isoler, d’aller dans des endroits où il n'y a pas d'éclairage, etc. Elles sont encore beaucoup plus exposées à des formes de violence et d'abus. Donc les femmes trans aujourd'hui sont aussi victimes d'un fort niveau de pauvreté qui n'est pas connu ni vraiment documenté.
Il faut aussi retenir que les femmes trans qui doivent pratiquer le travail du sexe aussi, elles ne peuvent pas dénoncer quand elles sont victimes d'agressions, parce qu'il y a une rupture de confiance totale entre la justice et la communauté trans.
Le TDoR, c’est aussi l’occasion de recenser les victimes de la haine anti-trans, par exemple via la page TDoR France sur Instagram. En quoi est-ce nécessaire ?
Giovanna Rincon : Nous recenser, c'est aussi en quelque sorte avoir des données. Pour humaniser aussi la mémoire de cette personne, mais aussi pour politiser ces données et pour rappeler à quel point il n'y a pas que le meurtre. Tout à l'heure, on parlait de Lexie qui a été exclue d’un festival féministe. Pour moi, tout ça, ça participe à la construction de ce que j’appelle la “mort sociale” des femmes trans. Il y a un continuum entre ça et le meurtre ou le suicide.
Pourquoi on recense ? Pourquoi c'est si vital presque de le faire ? C'est parce que d'un côté, il y a un acte de justice, un acte de commémoration. Mais en même temps, nous sommes les seuls qui pouvons aujourd'hui donner en quelque sorte un sens à cette mobilisation qui permet de dire : nous existons. Et même quand on est victime de meurtre et de suicide dans notre communauté, nous, les vivant·e·s, on est encore debout pour veiller sur la communauté trans.
La communauté trans est plus visible aujourd’hui, est-ce une bonne nouvelle ?
Giovanna Rincon : Il y a une survisibilisation aujourd'hui de la question trans. D'un côté, on peut penser que c'est quelque chose de bien, c'est le cas quand on a des espaces safe, quand on a la possibilité de dire des choses avec des paroles justes, quand on parle à la première personne. Mais la visibilité, ça ne va pas forcément de pair avec le progrès ou la justice.
Daisy Letourneur : Malgré la visibilité, ça n’est toujours pas faile d’afficher publiquement sa transidentité aujourd’hui. Il y a une étude qui a été faite par l’Association des journalistes LGBT (AJLGBT) qui a analysé les articles portant sur la transidentité pendant quelques mois. Ça a permis de mesurer combien d'articles étaient publiés, et on voyait un truc saisissant. En fait c'est surtout aujourd'hui la presse réactionnaire, la presse de droite, qu’on parle de transidentité. Les contenus anti-trans sont beaucoup plus nombreux que les contenus qui parlent de nous positivement.
Il y a une panique morale qui est créée par la droite réactionnaire au sujet des personnes trans aujourd'hui, et ça, c'est vraiment le piège de la visibilité. Au moment où on met un pied dehors, l'enclume de tous les anciens Manif pour tous nous retombe dessus. Donc il faut qu’on crée un militantisme qui soit intelligent, qui soit efficace. Et un de ces outils là, c'est le TDoR. Un autre de ces outils, c'est de connaître une autre histoire, connaître l'histoire du militantisme trans en France et à l'étranger. Parce que cette histoire, elle n'est pas écrite ou très peu et il faut aller la chercher. Heureusement, il y a des personnes aujourd'hui qui essayent de faire ce travail.
Le 20 novembre, Acceptess-T et le FLIRT organisent une soirée commémorative le samedi 18 à la Flèche d'Or. Quel est le programme de cette soirée ?
Giovanna Rincon : L’idée c'est surtout de donner au TDoR une coloration festive et solidaire. Je pense que c'est important d’éviter de tomber dans un TDoR qui pourrait très vite être perçu comme morbide. La situation est très dure, la transphobie est partout, tous les jours. Mais en proposant une soirée, on peut mobiliser autour de la joie et autour d’un droit au bonheur que nous avons tous et toutes, en tant que personnes, mais aussi en tant que personnes trans.
C’est aussi l’occasion de récolter des fonds, qui sont nécessaires, car n’oublions pas que la transphobie, qui mène au meurtre et au suicide, elle touche davantage les personnes précaires. Cet argent qu’on va récolter, ce sont des nuits d’hôtel qu’on va pouvoir payer à une personne trans qui est à la rue. Ce sont des frais d’avocat qui vont pouvoir être payés à un personne trans en difficulté avec la justice. C’est de quoi nourrir une personne trans qui ne peut plus se payer sa nourriture…
Et puis on a un autre événément qui est organisé, plus commémoratif. Le 20 novembre, place Baudoyer. C'est encore une fois un moment pour s'approprier notre histoire.
Il faudra qu'on soit capable de faire de cet acte un acte de plus en plus politique, mais aussi un moment commémoratif fédérateur. Pourquoi pas en faire quelque chose de plus culturel, et mettre au coeur de notre action la poésie, la joie, et la musique ?
L'équipe de l'émission
Présentation : Diego de Cao
Réalisation : Colin Gruel
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