Les Vulves Assassines • La retraite
En ce 26 avril, Le Lobby célèbre la journée de visibilité lesbienne en donnant la parole à Lydie Raër, militante antivalidiste lesbienne au sein du collectif Les Dévalideuses
Les lesbiennes ont des vécus différents et des apparences différentes. Seulement, c’est parfois difficile à voir, déjà parce que les lesbiennes sont rarement vues tout court, elles sont effacées de l’histoire et des espaces publics, et leurs vies ne sont pas racontées ou mises en images à la même fréquence -par exemple- que les personnes hétéros De plus, on ne connaît pas forcément l’orientation sexuelle des personnalités publiques / connues ou moins connues.
Mais même dans le milieu lesbien et/ou le milieu queer, censés être des “safe spaces” pour les concerné.e.s, (je pense surtout à ceux des grandes villes et à Paris puisque c’est là que notre radio est située), un type de lesbiennes semble parfois être mis plus en avant, et être plus valorisé dans l’imaginaire collectif, que d’autres.
Me vient une image (au hasard) de femme cisgenre, blanche, valide, mince, et plutôt bourgeoise.
En ce vendredi 26 avril 2024, pour tenter d’endiguer un peu cette image hégémonique, Le Lobby a souhaité s’intéresser aux lesbiennes handicapées, peu présentes médiatiquement, et qu’on se doit de célébrer en cette belle journée.
Pour parler de ça, nous recevons Lydie Raër, militante féministe et anti validiste au sein du collectif Les Dévalideuses.
Le Lobby: Ça représente quoi pour toi la journée internationale de la visibilité lesbienne?
Lydie Raër: Ça représente un gros moment de joie, de visibilité. Cette année à Ivry sur Seine, avec le collectif qu'on a organisé avec des copines, on va organiser un grand karaoké lesbien.
Le Lobby: Tu fais partie du collectif des Dévalideuses. Quand j'arrive sur la page d'accueil de votre site, je lis “Face à l'inacceptable invisibilisation des femmes handicapées dans le féminisme, nous nous sommes rassemblés”. Est ce que tu peux nous raconter ta rencontre avec ce collectif et ce que vous y faites?
Lydie Raër: Oui, j'ai adhéré au Dévalideuses assez tôt, mais je ne suis pas devenue membre active directement. Ça fait que depuis juin dernier que je suis membre active du collectif. Je suis avant tout militante écologiste au sein d'Europe Ecologie-Les Verts depuis 2020. C'est vrai qu'au début, je me voyais pas cumuler un emploi, un mandat et un engagement au sein du collectif. Néanmoins, face au validisme dans le monde politique et dans le monde militant fréquenté uniquement par les personnes valides, j'ai eu besoin de rejoindre un collectif antivalidiste et notamment les Dévalideuses parce que c'est le collectif avec lequel je suis le plus alignée en tant que femme queer.
Le Lobby: Toutes les personnes qui veulent vous soutenir peuvent adhérer?
Lydie Raër: Toutes les personnes peuvent adhérer. Néanmoins, pour être membre actif, on a on a mis en place une double mixité choisie, c'est à dire qu'il faut être à la fois pas un homme cis et en situation de handicap.
Le Lobby: Est ce que tu peux nous donner ta définition du validisme?
Lydie Raër: C'est le système d'oppression qui, comme le racisme, comme le sexisme, fait une hiérarchie entre les personnes dites valides et les personnes handicapées. Et selon ce système, l'avis des personnes handicapées a moins de valeur que celles des personnes dites valides. Selon ce système, la norme à atteindre est vraiment la norme valide.
Le Lobby: Le terme “validisme” est ce que c'est un terme plutôt récent ?
Lydie Raër: Oui, ce terme vient du mot “ableism” en anglais et c'est un terme en France qui est peu utilisé. Il est surtout utilisé dans le monde militant pour l'instant, et c'est vrai que c'est assez compliqué à l'utiliser en politique. Par exemple, chez Europe Ecologie les Verts où je milite, on a eu du mal à l'employer. Je me souviens des résistances de certains hommes cis heteros handicapés, qui considèrent que ce terme est du verbiage sociologique inexploitable politiquement. Mais néanmoins, lors du dernier congrès en novembre 2022, on a réussi quand même à faire voter une motion, c'est à dire un texte qui engage le parti, intitulé “Faire d'Europe Ecologie les Verts un parti antivalidiste”. Donc c'était une première victoire. Quand on parle de validisme, des personnes imaginent qu'il s'agit d'un terme où on est opposé aux personnes valides, ce qui n'a pas de sens du tout.
Le Lobby: En termes d'actions concrètes, j'ai vu que vous aviez ouvert une enquête sur les violences des MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées). Vous aviez également fait une pétition sur l'allocation adulte handicapé (AAH) il y a quelques années et en septembre 2023, vous avez occupé la station de métro Invalides à Paris avec une touche d'ironie. Comment s’est montée cette action? Quels en étaient les buts?
Lydie Raër: En effet, les Dévalideuses, ce n'est pas une association qui organise des actions coups de poing. Néanmoins, l'année dernière, j'ai écrit à Charlotte Puiseux qui milite également au sein du collectif, en lui disant que ce serait bien de tout péter à un moment. J'avais en tête le film “Crip Game”. C'est un film qui est accessible sur Netflix et gratuitement sur YouTube en V.O. qui raconte l'histoire des luttes des militant.e.s étasunien.ne.s qui ont lutté pour les droits civiques des personnes handicapées. Ils ont fait des actions, bloqué des passages piétons, des institutions…
Le Lobby: L'idée c'était de reprendre ce type d’actions?
Lydie Raër: Oui, parce qu'on n'est pas vues encore comme des personnes en capacité d'agir politiquement, les personnes handicapées, on est vu comme des petits êtres mignons, gentils. On voulait aussi casser cette image là.
Le Lobby: D'ailleurs Charlotte Puiseux parle “d’handicapés méchants”.
Lydie Raër: Dans les années 60-70 avec notamment Elisabeth Auerbacher. C’était un groupe d'étudiant.e.s qui s'étaient opposé.e.s à l'APF (système institutionnel). On a hérité en fait de cet activisme aussi. [
Le Lobby: Récemment, vous avez lancé le prix de la petite cuillère en mars 2024, qui est un prix pour la littérature jeunesse. Est ce que tu peux nous le présenter?
Lydie Raër: Oui, C'est un prix qui a pour but de visibiliser nos combats à travers la littérature jeunesse, à travers des œuvres qui existent et de valoriser en fait ces œuvres là.
Le Lobby: Et pourquoi ça s'appelle le prix de la petite cuillère?
Lydie Raër: En fait, ça provient de la théorie des cuillères qui est utilisée par les personnes handicapées et les personnes malades chroniques, c’est un système de mesure de l'énergie, dont on dispose en une journée. Par exemple, pour une journée, je dispose de six cuillères d'énergie. Prendre une douche, ça va me demander,trois cuillères d'énergie. Donc il me reste plus que trois cuillères d'énergie pour faire le reste. Et cette notion de cuillères d'énergie est aussi en lien avec la notion de crip-time. C'est aussi étroitement lié au rapport que les personnes handicapées ont avec le temps. Après, chaque personne a un rapport différent. Toutes les personnes handicapées ne ressentent pas une fatigue chronique, ne ressentent pas toutes de la douleur. Mais grosso modo, c'est pour illustrer le fait que pour accomplir telle tâche, on va mettre beaucoup plus de temps ou beaucoup plus d'énergie, ne serait-ce que pour arriver à un rendez vous. C'est très difficile des fois d'être à l'heure parce que les transports en commun ne sont pas accessibles, on peut avoir besoin d'un.e auxiliaire de vie pour nous aider à accomplir telle ou telle tâche. Il suffit que cette personne arrive en retard, ça a un effet d’accumulation.
Pour ma part, je dois toujours tout anticiper. Par exemple, pour arriver ici à 18 h 30, j'ai quitté mon travail à 17 h 30 parce qu'il fallait que j'attende l'ascenseur. J'ai attendu l'ascenseur dix minutes parce que sur huit ascenseurs, y en a que deux qui vont au sous sol où est garée ma voiture. Après, il fallait que j'anticipe le temps pour me rendre dans les studios. Comme je ne peux pas prendre les transports en commun, je dois prendre la voiture, donc il y a des embouteillages. Et ensuite, il fallait que j'anticipe le temps pour retrouver une place de stationnement PMR pas trop loin des studios. Et il fallait que j'anticipe également le temps de sortir de ma voiture, faire le transport et venir jusqu'ici et anticiper un souci d'ascenseur en panne ou que sais je en panne.
Le Lobby: Parlons des Crip-cafés que vous faites depuis 2022 avec l'association des Dévalideuses et de Charlotte Puiseux. Elle est psychologue et docteur en philosophie, qui est spécialiste du CRIP et qui a publié le livre De Chair et de fer en 2022. Le sous titre, c'est “vivre et lutter dans une société validiste” où elle parle notamment de Crip. Donc une théorie qui croise les théories queer et les théories des disability studies. Est ce que tu peux nous en dire un mot? Même plusieurs.
Lydie Raër: C'est un concept qui est hyper chouette le Crip. Donc comme tu l'as dit, c'est un concept à la croisée des Disability Studies. Qui s'opposent au modèle médical selon lequel le corps handicapé doit être redressé pour correspondre le plus à la norme valide. Aux Etats-Unis, à partir des années 60, il y a eu tout ce mouvement de luttes pour les droits civiques des personnes handicapées. Ce ne sont pas nos corps qui sont défaillants, mais c'est vraiment la société qui n'est pas adaptée à nos besoins. Le modèle social n'est pas suffisant, notamment pour les personnes racisées, les personnes queer, les femmes. Il y a vraiment une idée de retournement du stigmate comme pour les personnes queer. Donc crip ça vient du mot “crippled” en anglais qui veut dire tordu, boiteux, estropié. On retourne ce stigmate, on en fait une fierté. Il y a dans le Crip cette idée de performativité du handicap, notamment pour les personnes qui ont un handicap invisible, qui vont parfois devoir performer leur handicap, notamment en prenant une canne pour bien montrer qu'iels sont handicapé.e.s. Il y a aussi cette idée de fierté. Et les Crips cafés, pour l'instant, ils sont uniquement organisés à Fougères avec Julie qui est une de nos membres active/fs et on attend qu'elle nous forme pour pouvoir en organiser un peu partout en France. On en a effectivement organisé un à Paris en septembre, la veille de notre action coup de poing au café Mona. C'était très très chouette parce qu'il y a certes, cet esprit de communauté mais y avait également des personnes dites valides qui sont venues, et il y a même une personne queer qui s’est dit “ah mais en fait je fais partie de votre famille moi aussi”. Enfin voilà, cette personne avait réalisée qu'elle était handi en lisant les textes. On avait lu certains textes, dont des extraits du livre de Charlotte autour du Crip.
Le Lobby: En faisant des recherches sur le CRIP, j’ai remarqué que le lien entre théorie crip et queer n'est pas forcément évident. Il y a aussi cette question: est ce que toutes les personnes handicapées sont queer? Et à l'inverse, on reproche à la théorie queer une mauvaise considération du statut des personnes handies.
Lydie Raër: Oui. Charlotte dans son livre, dit que toutes les personnes handies par leur manière d'être hors-norme, de troubler l'ordre public sont queer. Donc oui, oui, après peut être c'est plus dans le monde militant institutionnel type APF etc, c'est vrai qu'il n'y a pas du tout une approche queer, mais comme il n'y a pas du tout non plus une approche anti validiste. Donc je pense que c'est vraiment quand même très très lié. Et effectivement, dans la communauté queer, il y a beaucoup de validisme et sans doute parce qu'il y a tout un truc autour du corps aussi. Les personnes queer performent leur queerness à travers leur corps, mais elles restent quand même très très normatives et il reste quand même beaucoup de normes.
Le Lobby: Parfois même au sein de cette contreculture queer, il y a des stéréotypes de beauté.
Lydie Raër: Il y a un article hyper intéressant de Manifesto XXI qui s'intitule “Les queer ont-ils un problème avec la beauté?” et Coco Spina en parle très bien dans son livre aussi.
Le Lobby: Son livre qui s'appelle “Amours Queers face au fascisme”. J'avais lu cet article qui était très parlant. Iel dit qu’en fait dans les milieux queer, on se sent tellement subversif alors que finalement il y a une norme au sein même du milieu, que les gens se ressemblent un peu. Et puis ça se voit même dans les fringues, dans les tatouages, dans les coupes de cheveux, dans les événements tout le monde se ressemble un peu.
Lydie Raër: Oui, et il y a beaucoup de classisme et je trouve ça insupportable. Et iel en parle beaucoup dans l'article, c'est ces personnes bourgeoises qui s'habillent comme des prolos. Moi qui viens d'un milieu prolo, ça m'insupporte.
Le Lobby : Charlotte Puiseux dit à un moment “il a fallu me frayer un chemin à Validitéland”. Je trouve que c'est à la fois très beau et parlant. Elle parle de la société dans son ensemble. Mais pour parler justement de nos milieux lesbiens/queer, en cette belle journée de visibilité. Est ce que tu pourrais, toi, reprendre cette phrase à ton compte pour dire qu'il a fallu te frayer un chemin dans les milieux lesbiens/queer ?
Lydie Raër: Ah mais oui, clairement, en “devenant” lesbienne, en fait je suis une baby dyke… Et oui, je fréquente le milieu lesbien depuis trois ans seulement et c'est vrai que je m'attendais à beaucoup plus d'ouverture d'esprit. Et notamment au sujet du validisme. Mais c'est vrai que j'ai vite déchanté et je pense tout d'abord que c'est dû au manque d'accessibilité de nos lieux communautaires. Déjà il existe peu de lieux lesbiens et dans le peu de lieux lesbiens existants, ils sont rarement accessibles. Il y a la Flèche d’or qui est accessible. C'est d'ailleurs dans ce lieu là qu'on envisage organiser notre évènement queer prochainement. Mais sinon, c'est vrai qu'il y a la Mutinerie, mais les toilettes ne sont pas accessibles et ce lieu n'est pas accessible aux autres types de handicap non plus. Il y a le bonjour madame qui est relativement accessible mais pas pour tous les handicaps. Enfin voilà, il y a plein de soirées…
Le Lobby: Il y a une marche dans les toilettes.
Lydie Raër: Oui alors moi je me débrouille en faisant McGyver mais avec un fauteuil électrique par exemple, ça passe pas. Dans ce cadre là, il est très difficile de se frayer un chemin.
Le Lobby: Il y a un vrai problème d'espaces et aussi peu d'argent. En fait, c'est des communautés qui sont plutôt précaires et qui ne peuvent pas forcément faire des travaux si y a besoin...
Lydie Raër: On peut choisir. Pà par exemple, il y a le café Olympe qui vient d'ouvrir. C'est une question de choix. Par exemple, je reviens de Bruxelles où j'ai passé une semaine merveilleuse avec la Conférence Européenne Lesbienne (ELC).
J'ai juste indiqué une fois dans le formulaire d'inscription que je me déplaçais en fauteuil roulant et en fait, quand je suis arrivée, c'était pas un sujet, tous les lieux étaient accessibles. Un matin, la semaine dernière, Alexa, une membre du bureau de l’ELC, qui était en charge de tous ces aspects logistiques vient me voir et me dit qu’il y a un problème. Le resto réservé pour le soir, n’était pas accessibles, il y a une marche et les toilettes sont au sous sol sans ascenseur. Le contrat, avec ce restaurant a été annulé et on a été dans un restaurant accessible. Jamais ça m'est arrivé, même à EELV, et ça m'a fait tellement chaud au cœur. Et pareil, le dernier jour, le stage était terminé mais on était un petit groupe de lesbiennes. Avant de prendre le train, on a voulu aller voir l'expo sur Chantal Akerman aux Beaux-Arts. Mais c'était pas accessible, enfin partiellement. Et donc ben les filles se sont dit non, on y va pas, on fait rembourser nos billets et voilà. En fait c'est ça, ça coûte rien en fait. [00:20:32][8.7]
Le Lobby : Je rappelle par la même occasion que sur le site des Dévalideuses, il y a un PDF qui s'appelle “Accessibiliser un événement pour le public porteur du handicap” qui est très clair. C'est une dizaine de pages que vous pouvez avoir en numérique ou imprimé et qui permet d'accessibiliser vos événements. Il y a pleins d’outils.
Lydie Raër: Ah oui, regardez le. Il y a d’autres exemples, Alternatiba organise tous les deux mois des rencontres les dimanches en fin d'après midi à la Recyclerie. On a trouvé un système pour rendre les rencontres accessibles aux personnes sourdes et malentendantes. Deux personnes prennent des notes sur un Google Doc ou un Framapad et c'est projeté sur le mur. Ce sont des tips qui coûtent rien du tout.
Le Lobby: En mars dernier, il y a eu une soirée organisée par Label Gouine et tu as dit N”ous invitons les espaces queer à se saisir des enjeux d'accessibilité, à utiliser nos outils mis en ligne, pour faire la place aux personnes handies et queer qui font pleinement part de ces communautés mais peu présentes pour le moment.” Il y a quelques années, on avait reçu Céline Extenso qui est une des fondatrices des Dévalideuses dans cette émission. Elle avait surtout parlé de validisme dans les milieux féministes et déplorait déjà le peu d'accessibilité des réunions de collectifs féministes. Et moi, j'avais l'impression qu'aujourd'hui, il y avait quand même eu des conséquences concrètes de vos actions au sein des Dévalideuses, que les enjeux d'accessibilité, c'était quand même un petit peu plus présent, que par exemple, on ne se verrait pas organiser une marche lesbienne sans accès PMR, sans que les discours soient traduits en LSF pour les sourds et malentendants. Est ce que toi t'as l'impression que vous avez que vos actions mènent à des prises de position concrètes, à des choix concrets ou où finalement ça n'a pas tant avancé que ça depuis 2021?
Lydie Raër: Ça prend du temps quand même. C’est souvent au prix de violences. J'ai deux exemples en tête. Le premier, c'est lors de la manif Nous toutes 2022, où Céline, justement, devait prendre la parole à l'issue de la marche. Et les prises de parole étaient organisées sur un kiosque inaccessible. Nous Toutes avait estimé le lieu accessible puisqu'elles avait mis une sorte de rampe, mais on aurait dit un toboggan le truc. Donc clairement, c'était pas du tout adapté. Et même la conférence de presse avait lieu dans un lieu inaccessible. C'était hyper violent pour Céline. Et je pense que la leçon a était retenue, mais à quel prix? Encore un autre épisode que j'ai en tête, c'était lors des cinq ans de Nous Toutes à la Cité fertile. L'été dernier, j'ai été victime d'une agression validiste alors que je cherchais à me garer sur une place PMR au sein du site de la Cité Fertile. Et en fait, j'ai été agressée par des agents de sécurité et c'était très très violent. J'ai été traitée de folle et on a voulu m'ouvrir ma voiture pour me prendre mon téléphone et c'était très dur. En janvier, on a organisé avec Maya une copine des Dévalideuses, une médiation et une formation à destination du staff de la Cité fertile et des agents de la sécurité aussi, puisqu'en fait la Cité fertile est sur un site géré par la SNCF immo. Mais même cet instant de médiation était très violent. Parce qu'en fait, la personne, la femme qui m'a agressé, celle qui a été le plus violente avec moi, m'a dit que mon handicap ne se voyait pas et que c'est pour ça qu'elle m'avait agressée. Et pareil, elle a demandé à Maya qui était avec moi pourquoi elle était là, quel était son handicap… Voilà, C'est au prix de quelle violence en fait qu'on a avancer ici? C'est très exposant parfois. On sera au festival Drama Gouines ce week end toujours à la Cité fertile. A plusieurs reprises, j’ai été dans des événements dramagouines et j'ai été confrontée à de l'inaccessibilité et à chaque fois, c'est très violent. Donc je râle. Les personnes de l'orga m'écoutent, des fois j'ai l'impression que ça rentre mais bon. On leur a donné le guide, on a écrit une liste. Par exemple, la mezzanine de la cité fertile sera boycottée. Ben voilà, il y a des petites avancées, mais sur les bilans coûts-avantages, c'est très difficile en termes de santé mentale. Donc il faut aussi apprendre à se préserver et à partager la charge. Et des fois, c'est aussi aux personnes valides de prendre un peu de cette charge mentale.
Le Lobby : Est-ce que la solution ce serait d'essayer de co-créer les projets au maximum? Par exemple la ELC, toi tu étais venue en tant que militante des Dévalideuses ou en tant que militante féministe ?
Lydie Raër: J'avais mis plusieurs casquettes, j'étais venue en tant que élue écolo, en tant que membre des Dévalideuses et en tant que membre du petit collectif TPG d’Ivry sur Seine.
Le Lobby: Ces expériences que tu as eu de projets communs, même si comme tu dis, tu dois toujours faire face à des propos qui peuvent être validistes. Est ce que le fait de créer des projets ensemble, ça permet quand même à la fin qu’il n’y ait pas de validisme ?
Lydie Raër: Oui. Par exemple, en octobre dernier, on a organisé une action avec les Dégommeuses qui sont assez exceptionnelles. Mais ça permet de former les autres aux luttes anti validisme. Là on va les former prochainement. Mais oui, c'est en étant inclus.es dès le départ que forcément il n'y a pas de mauvaise surprise. Et aussi, on met nos exigences, on se dit voilà, on a tel et tel critère en termes d'accessibilité et sinon on se retire. Par exemple pour la campagne My Voice My choice, là, les Dévalideuses ont rejoint la campagne. C'est une ICE, initiative citoyenne européenne qui vise à garantir à l'échelle européenne l'accès à l'IVG sûr et gratuit pour tous. Et donc on a rejoint cette campagne avec joie et en mai sera diffusée si tout se passe bien un webinaire autour des spécificités des femmes handies en lien avec l'IVG. Au début, il nous était demandé de faire ce travail là pour fin avril et on s'est dit oh la la Crip time, non, ça ne va pas le faire. Et on a dit voilà, notre condition, c'est qu'on puisse faire ça fin mai parce qu'on ne pourra pas en termes d'énergie. Donc voilà, ça a été accepté. On met nos conditions, ça passe ou ça casse.
Le Lobby: Tout à l'heure tu disais qu’il faut que les personnes pas forcément concernées soient aussi sensibilisées que les concerné.e.s en fait, tout en restant dans une position d'allié.e. Et je voulais juste citer encore un.e de vos membres de la collective, Avril, qui a écrit un article qui s'appelle “Pour une indignation partagée” que j'ai trouvé super et qui dit “J'aimerais que les personnes valides soient encore plus indignées que moi quand elles sont témoins des injustices que je subis. J'aimerais tant qu'elles ne ressentent aucune honte, mais de la fierté à me voir me révolter. J'aimerais que celleux qui se croient allié.e.s le soient réellement. J'aimerais qu'ils s'approprient nos luttes, non pas parce que peut être qu'un jour elles ont aussi besoin de ces aménagements, mais parce qu'iels sont contre toutes les formes de discrimination et que le validisme en est une.”
Lydie Raër: Je suis tout à fait d'accord et je mesure la chance d'avoir aussi des ami.e.s qui s'indignent autant. Presque tous mes ami.e.s sont queer et mettent au même niveau les luttes anti validisme, les luttes antiracistes, les luttes queer. J'aimerais bien que les militantes et militants anti-racistes, queer, anticapitalistes, écolos mettent au même plan les luttes au même titre que les autres, en dehors de nos bulles. Mais je crois que c'est pas encore le cas. Le handicap est encore ramené à quelque chose d'individuel, à une tragédie personnelle. Le chemin, il est pas encore fait pour la majorité des militant.e.s de gauche, des militant.e.s progressistes. En fait, le problème, ce n'est pas nos corps, mais c'est la société qui est faite par et pour des personnes valides. Et le chemin est encore très très long.
Le Lobby: Et qui fonctionne sur une division valide/pas valide.
Lydie Raër: Et je pense aussi que c'est parce qu'il y a un aspect un peu psychologique. Les personnes valides font beaucoup de projections sur les personnes handies, on est ce que les personnes ont peur de devenir. On peut représenter la dépendance, la vieillesse, la mort et je pense que ça aussi, ça entre en jeu. Malheureusement.
Le Lobby : Pour clore un peu tout ça, je voulais te demander pour toi ce serait quoi un 26 avril idéal?
Lydie Raër: Ce serait un événement joyeux, militant, inclusif, mais vraiment inclusif. Parce que des fois on dit inclusif un peu à toutes les sauces, alors que c'est pas du tout inclusif. Où tout le monde a sa place. Les personnes provenant d'un milieu populaire, les personnes racisées, les personnes handies, les personnes queer et les personnes à la croisée de toutes ces oppressions là. Que ce soit à la fois une journée rigoureuse, en termes militants qui ne laisse rien passer, notamment en termes de transphobie. La transphobie augmente et je trouve qu’il y a du ménage à faire chez les féministes. En même temps, je quelque chose de très joyeux, je ne vois pas la lutte sans amour.
Le Lobby: Et est ce que tu aurais une petite recommandation culturelle, que ce soit un livre ou un film ou une musique, qui t'a parlé récemment, que tu as bien aimé pour profiter de cette belle journée.
Lydie Raër: J'ai beaucoup aimé dernièrement la série qui est passée sur France deux, The Sin. Ça m'a fait penser un peu au film Pride qui parle d'alliance des luttes et je pense que c'est ce qu'on a aussi envie de faire à Ivry sur Seine avec le collectif LGBT, on a toujours pas de nom défini mais vous pouvez nous retrouver sur Instagram : https://www.instagram.com/collectiftpgivry !
Pour aller plus loin...
Références citées dans l'émission et pistes pour continuer à réfléchir au validisme dans le milieu queer :
— Le site des Dévalideuses : https://lesdevalideuses.org/
— Le guide pour accessibiliser un évènement, par le collectif des Dévalideuses : http://lesdevalideuses.org/wp-content/uploads/2022/04/Guide_accessibiliser-un-evenement_zine.pdf
— Le billet de blog “Pour une indignation partagée” d’Avril, membre active des Dévalideuses : https://lesdevalideuses.org/pour-une-indignation-partagee/
— Le livre de Charlotte Puiseux, De Chair et de Fer, aux éditions La Découverte : https://www.editionsladecouverte.fr/de_chair_et_de_fer-9782348067778
— Le site de Charlotte Puiseux : https://charlottepuiseux.weebly.com/
— L’article “Introduction à la théorie crip”, de Charlotte Puiseux : https://charlottepuiseux.weebly.com/introcrip.html
— La campagne pour un avortement libre et gratuit pour toutes les personnes: https://www.instagram.com/mavoixmonchoixorg/
— À lire sur le site de Manifesto 21 : “Les personnes queers ont un problème avec le capital beauté, et il est temps d’en parler”, par Costanza Spina, cité par Lydie Raër dans l'émission : https://manifesto-21.com/queers-probleme-capital-beaute-temps-den-parler/
— Le livre de Costanza Spina, Manifeste pour une démocratie déviante : amours queers face au fascisme, éditions Trouble
— Les recommandations de Lydie Raër : la série It’s a sin sur France TV Slash et le film Pride !
— À écouter : Notre rencontre avec Céline Extenso en 2021 : https://www.radiocampusparis.org/emission/Pjz-le-lobby/3QvR-la-petite-derniere-de-fatima-daas-handies-et-queers-quelle-place-dans-nos-espaces
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