Jean Dawson • NO SCOPE
La Cour Constitutionnelle vient d'entériner l'adoption d'une loi "anti-homosexualité", la plus répressive au monde.
Début avril, la Cour constitutionnelle ougandaise a validé une loi particulièrement brutale à l’encontre de la communauté LGBTQIA+, baptisée “loi anti-homosexualité”.
Le texte prévoit des sanctions extrêmes envers les personnes ayant des relations homosexuelles, et/ou faisant la “promotion de l’homosexualité”. Un délit “d’homosexualité aggravée” est puni de mort, même si cette peine n’est plus vraiment appliquée dans le pays depuis quelques années.
Sur place, les associations de défense des droits humains sont très inquiètes. Elles craignaient également que la loi se répande sur le continent. Certains pays africains disposent en effet déjà de lois très répressives à l’encontre de la communauté LGBTQIA+.
Pour en parler, nous recevons Sébastien Tüller. Il est responsable LGBTQIA+ chez Amnesty International France, qui vient de publier son rapport annuel.
Le Lobby : Que prévoit concrètement cette loi ?
Sébastien Tüller : Cette loi anti-homosexualitéest l’une des lois les plus répressives au monde à l'encontre des personnes LGBTI+. Et c'est d'ailleurs comme ça que Amnesty International la dénonce, dans son nouveau rapport annuel sur la situation des droits humains qui a été publié il y a quelques jours. L’Ouganda illustre tristement cette régression des droits humains des personnes LGBTI dans le monde.
Cette loi vient durcir la loi déjà existante. Il y a vraiment une guerre juridique homophobe aujourd'hui en Ouganda et dans les pays limitrophes qui viennent durcir les mécanismes juridiques contre les personnes LGBTI+. Et donc on est venu vraiment accentuer la pénalisation contre les sexualités dites contre nature, contre l'homosexualité. On est venu également pénaliser la promotion des droits humains ou des droits des personnes LGBTI. Donc toutes les personnes qui voudraient tenir des discours, militants ou non, de manière positive à l'égard des orientations sexuelles ou des identités de genre non conventionnelles, pourraient être condamnées jusqu'à 20 ans de prison.
Et enfin, le plus dramatique, c'est cette disposition vague, de circonstance aggravante qui peut conduire à des condamnations à mort à la peine de mort. Et donc l'Ouganda vient tristement rejoindre la liste des pays qui condamne à mort les personnes LGBTI. C'est le nombre de pays qui condamne à mort augmente à cause de cette loi et de l'Ouganda. Et donc cette disposition vague, elle concerne les relations sexuelles avec les migrants, les personnes qui ont un handicap ou qui sont atteints du VIH, ou s'il y a une trop grande différence d'âge. En cas de récidive, on peut tomber sous le coup de cet article qui parle d’”homosexualité aggravée” et donc condamné à mort aujourd'hui en Ouganda.
La loi est-elle concrètement appliquée ?
Oui. En août 2023, il y a eu une première personne, un jeune de 20 ans, qui a été accusé d'homosexualité avec circonstance aggravante pour avoir une relation sexuelle avec une personne de 41 ans, si je me souviens bien, parce que le procureur a considéré que la personne de 40 ans était atteinte d'une forme de handicap. Et donc ce jeune de 20 ans qui était le premier accusé d'homosexualité aggravée, qui encourt véritablement une condamnation à mort. Une dizaine d’autres personnes ont subi le même sort.
La loi a aussi des effets concrets sur la santé des personnes LGBT et des personnes séropositives...
La loi entraîne évidemment une hausse de la stigmatisation, de la marginalisation, qui était déjà un point particulièrement fort en Ouganda et dans d'autres pays en Afrique, parce que depuis une dizaine d'années, les discours politiques instrumentalisent l'homophobie, déshumanise, diabolise les personnes LGBT à des fins électorales pour détourner l'attention du public sur d'autres questions urgentes et prioritaires en termes de droits humains ou de droits fondamentaux. Et donc, en fait, la stigmatisation des personnes LGBT ne date pas de cette loi. Malheureusement, elle date depuis bien longtemps malheureusement.
Quelles ont été les réactions internationales depuis la confirmation de la loi cette année ?
L’Ouganda est l’un des pays où la condamnation internationale a été la plus forte, par rapport à d'autres pays. Tous les mécanismes ont été utilisés, parfois de manière disproportionnée, avec un risque de porter atteinte aux personnes LGBT+ dans le pays. Les États-Unis, la Banque mondiale, l'Union européenne, voilà tout le monde a fait des déclarations publiques, ils ont utilisé plus ou moins l'arsenal diplomatique pour essayer de faire pression sur le président pour qu'il utilise son droit de veto et qu’il ne promulgue pas cette loi, ce qui a échoué.
Ça fait dix ans qu'il y a plusieurs propositions de loi en ce sens en Ouganda. En 2014, il y avait une proposition de loi qui s'appelait Kill the Gays, donc littéralement “tuer les homosexuels” mais tous les pays occidentaux ont fait pression d'une manière plus ou moins habile et pas toujours très habile d'ailleurs. Et en fait, ce qu'on observe, c'est que, en menaçant l'Ouganda de couper les aides internationales ou les aides au développement, on a gagné du temps. Et donc cette loi n'a pas été adoptée dans un premier temps. Mais pendant dix ans, on a renforcé cette idée reçue que l'Occident impose l'homosexualité en Afrique et en Ouganda. Et donc on a renforcé l’homophobie. On a renforcé cette idée reçue que l'homosexualité serait quelque chose qui proviendrait de l'Occident. Et on voit bien qu'à la fin, ça ne fonctionne pas puisque cette loi est finalement adoptée avec le soutien de la population ougandaise.
Et donc on voit bien qu'il faut réfléchir aussi à la manière dont on verbalise notre opposition quand il y a ce type de proposition de loi qui est votée, et pas juste faire des communications spontanées one shot, mais avoir un vrai travail à long terme de soutien à la société civile, de renforcement des capacités, d'être des militants et des militantes et d'intégrer la question des droits des personnes LGBTI dans la diplomatie de manière globale et pas juste une fois l'année pour faire un communiqué de presse le 17 mai.
Pourquoi est-ce que la population ougandaise adhère à ce point à ces discours LGBTphobes ?
Plus on a une d'homophobie d'État et plus on a des lois qui pénalisent l'homosexualité et la transidentité, plus ça légitime dans la société un sentiment d'homophobie et de transphobie. Et plus on porte atteinte aux discours, au militantisme ou à la société civile. Et là, on en vient à pénaliser la soit-disante “propagande”, la promotion des personnes LGBTI plus. Eh bien le résultat, c'est que la seule manière d'entendre parler d'homosexualité et de transidentité, ce sont les discours de haine. Et donc en fait, quand on grandit dans une société qui est structurellement discriminatoire, on peut que devenir homophobe et transphobe.
D'où vient cette propagande anti-LGBT en Ouganda ?
Je pense qu'il faut vraiment déconstruire cette idée reçue que l'Occident viendrait imposer l'homosexualité en Afrique. C'est bien l'homophobie et notamment pendant l'ère coloniale, qui a été imposée. En Afrique, 31 pays condamnent les personnes LGBT dans la loi à des peines de prison. Toutes ces lois sont majoritairement issues de l'ère coloniale.
Je ne dis pas qu'il n'y avait pas d'homophobie ni pas de transphobie dans les sociétés africaines avant la colonisation, mais en tout cas, il n'y avait pas de lois qui venaient persécuter les personnes LGBT+.
Ces lois, elles ont été importées. Les puissances coloniales ont voulu persécuter les sexualités qui n’avaient pas pour but la procréation. Et comme toutes ces sociétés africaines étaient perçues comme des havres de sexualité contre-nature, on est venu imposer des lois qui aujourd'hui perdurent.
Et le plus triste, c'est que les pays occidentaux ont dépénalisé depuis l'homosexualité mais après l'indépendance de certains pays colonisés. Et en Afrique, ces lois perdurent et elles sont encore utilisées d'une manière dramatique.
C'est pour ça que les activistes dans ces pays-là dont un gros travail de mémoire pour rappeler que la sexualité entre personnes de même sexe, et les identités trans ont existé en Afrique et partout dans le monde depuis toujours. La recherche a permis de reconstituer la vérité de ce qui c'est que dans plus de 40 groupes ethniques dans toute l'Afrique subsaharienne, on a retrouvé des mariages entre personnes de même sexe entre femmes qu'au Zimbabwe. Une peinture rupestre vieille de plus de 2000 ans montre des relations sexuelles entre hommes. Il y a plein de langues qui ont des mots pour parler de la fluidité du genre, largement tolérée avant la colonisation. D’ailleurs, l'Ouganda est connu historiquement comme étant un royaume où il y a une forte histoire de l'homosexualité. Et toute cette histoire de nos identités des personnes LGBTI est niée par les conservateurs au pouvoir aujourd'hui.
Quelle est l'influence de l'Église catholique aujourd'hui en Ouganda ?
Les puissances coloniales ont encouragé à considérer le mépris et la peur à l'encontre des personnes LGBT comme des signes de modernité. Uune sexualité dite moderne serait forcément hétérosexuelle. On voit bien que tout ce qui découle de la vision morale ou religieuse ou conservatrice des religions a un impact évidemment sur la vie des personnes LGBT+. Oon utilise souvent ces arguments fallacieux pour excuser ou pour expliquer le harcèlement, les discriminations et les persécutions. Par exemple, le Pape dit clairement que la pénalisation des personnes LGBT est injuste. Quand le pape dit ça, ça devrait être entendu. Et on voit bien qu'aujourd'hui ça l'est pas et qu'il y a plein de mouvements évangéliques qui sont aussi financés par plein de mouvements conservateurs américains qui, au moment où les mouvements LGBTI plus progressistes ont gagné du terrain en Occident, se sont rabattus sur l’Afrique pour financer des prêches homophobes et que quelques années plus tard, ça a produit ses fruits et que cette homophobie et cette transphobie sont profondément ancrées aujourd'hui dans de nombreuses sociétés africaines.
Il existe un réel risque que cette loi, qui est aujourd'hui la plus sévère en termes de punition en Afrique, soit récupérée par d'autres pays africains…
Oui, et c'est pour ça que je trouve que l'exemple de l'Ouganda est extrêmement intéressant aussi. Il y a vraiment une guerre juridique homophobe, une instrumentalisation des mécanismes juridiques et cette volonté de renforcer les lois existantes, que ce soit au Sénégal, au Botswana, avec cette idée qu'il fallait durcir les lois qui pénalisent l'homosexualité. Et il fallait adopter des lois encore plus répressives. Et l'exemple le plus dramatique, c'est sûrement le Ghana qui a adopté des nouvelles dispositions qui viennent encore pénaliser les personnes LGBT. On peut aussi parler du Kenya, où des parlementaires proposent de là aussi durcir la persécution contre les personnes LGBT jusqu'à la condamnation à mort. Et donc on voit bien qu'on assiste à une régression brutale des questions LGBTQI+.
Tâchons d’être optimistes : je pense que c'est aussi parce qu'on est en train de gagner. C'est justement parce que nos mobilisations sont de plus en plus fortes, que nos opposants se mobilisent de plus en plus et que là, on est dans un point de bascule où justement ce n'est pas le moment de lâcher. Au contraire, il va falloir continuer à se mobiliser le plus possible parce que, en attendant, il y a vraiment une question du droit à la vie de droit de ne pas être arrêté arbitrairement.
Et c'est ça tout le travail d'Amnesty International aujourd'hui, c'est d'avoir des chercheur·euse·s dans ces terrains, dans ces pays, pour voir comment ces lois aujourd'hui sont utilisées. On documente les arrestations, l'utilisation de ces lois dans les tribunaux, les conditions de détention des personnes LGBT pour les mettre face à leurs responsabilités et qu'on puisse se débarrasser de ces lois complètement archaïques.
La résistance s'organise sur les réseaux sociaux notamment, particulièrement par des personnes qui soit sont restées dans leur pays, soit sont parties. Je pense à un·e militant·e ougandais·e, Papa De, photographe non-binaire, parent·e, et qui a notamment organisé une marche à Berlin la semaine dernière, il me semble. Comment s'organise la résistance?
Aujourd'hui, on voit bien qu’être une personne ouvertement LGBT+ est impossible en Ouganda parce qu'on prend des risques pour sa sécurité et pour sa vie. On a parlé des thérapies de conversion tout à l'heure, mais il y a aussi d'autres formes de persécutions, de tortures ou de traitements inhumains et dégradants comme le test anal, etc. C'est très difficile d'être militant·e fait.
Le risque principal, c'est qu'on peut être contraint·e de fuir en Occident. Et donc, au moins aujourd'hui, grâce aux réseaux sociaux, on peut construire des communautés en ligne, on peut partager des messages de solidarité, des actions depuis l'Occident. La plupart de ces militant·e·s qui ont fui leur pays aimeraient y retourner. Et donc ça montre bien qu'il y a vraiment un enjeu que la société civile aussi en Ouganda, que les associations de défense des droits humains se mobilisent de plus en plus aussi sur les questions des droits des personnes LGBTQI+.
Aujourd'hui, la stratégie des militant·e·s sur place, c'est la stratégie de contentieux : attaquer ces lois et ces dispositions devant la Cour suprême. Parce que cette stratégie de contentieux, elle a déjà marché dans d'autres pays et aussi en Ouganda par le passé, on peut penser à la fameuse loi Kill the gays, annulée en 2014 en raison de ses termes particulièrement vagues. Cette fois-ci, ça n'a pas marché. La Cour suprême a rendu sa décision il y a quelques semaines en disant que la dernière loi adoptée qui condamne à mort les personnes LGBT était constitutionnelle.
Mais il y a d'autres recours qui sont en cours et d'autres stratégies de contentieux en cours. Et on espère que cette question de l'accès à la justice puisse permettre de protéger les personnes LGBT aussi.
Comment s'organisent les associations sur place? Est ce qu'il y a des associations de défense des droits LGBT sur place ?
Dans de nombreux pays africains, on peut faire la demande aux autorités de nous enregistrer en tant qu'association LGBT+, mais c'est jamais accepté. Et d'ailleurs ça me fait penser à un autre exemple : la Cour suprême du Kenya, après dix ans de lutte devant les tribunaux, a autorisé une association LGBT à être officiellement enregistrée. Et donc on s'est très vite réjoui. Et la société civile aussi s'est réjouie de cette victoire. Mais ça a créé un retour de flamme et des représailles particulièrement violentes contre les personnes LGBT, des discours de haine, des campagnes d'homophobie et de transphobie particulièrement violentes et nombreuses, et qui a conduit à une hausse du harcèlement, des discriminations et à une proposition de loi qui va condamner les personnes LGBT à la peine de mort.
Il faut donc repenser notre stratégie. Ce que demandent les militant·e·s, ce n'est pas forcément la dépénalisation de l'homosexualité, parce que pour eux, ça leur paraît pas la priorité. Ce qu'ils aimeraient, c'est avoir accès à l'emploi, lutter contre les violences, lutter contre les meurtres, contre l'impunité pour plus de sécurité. Et que cette question de la dépénalisation, ça viendra dans un second temps. Et que quand les pays occidentaux focalisent leur diplomatie sur cette question de la dépénalisation, ils passent à côté de ce que demandent les militant·e·s de la société civile sur place, qui aimeraient plutôt qu'on les aide sur l'accès aux soins, sur l'accès à la santé et sur les questions d'urgence.
Que peut-on faire depuis la France pour aider la communauté queer ougandaise ?
Déjà on peut en parler. On peut évidemment les soutenir aussi financièrement, mais on peut faire pression sur nos autorités en France pour qu'on ait une diplomatie française, une diplomatie européenne qui soit à la hauteur des enjeux et de la régression des droits des personnes LGBTI. Moi et d'autres, on s'est beaucoup battus pour qu'on nomme un ambassadeur ou une ambassadrice aux droits des personnes LGBTI+. Auparavant, il n’y avait personne pour coordonner d'une manière ambitieuse la diplomatie française sur les questions LGBTI+.
Aujourd'hui, on a aussi besoin de plus de moyens pour pouvoir avoir un travail qui soit à la hauteur de ces atteintes massives aux droits des personnes LGBTI+. Il faut renforcer le financement des associations sur place quand elles existent, d'aider à la formation, à des rencontres entre militants et militantes. Je pense qu'on a on a plein de choses à apprendre, de stratégies militantes et notamment du contentieux. Parce que quand on compare l'utilisation des tribunaux en Europe et dans d'autres pays, on voit bien que nous, nos Cour suprême, le Conseil d'État, la Cour de cassation ont jamais eu des jurisprudences qui ont permis l'avancée des droits des personnes LGBTI plus alors que dans d'autres pays ça a été le cas. Donc je pense qu'il y a plein de choses à apprendre.
On parle de diplomatie féministe aujourd'hui, je pense que c'est une coquille vide. Il faudrait qu'on arrive à une véritable diplomatie queer et pas juste du pinkwashing.
Références citées dans l'émission
— Le rapport annuel d'Amnesty International France : https://amnestyfr.cdn.prismic.io/amnestyfr/dd34945a-1514-4bd7-9088-76c86a51a122_french_2024-04-22.pdf
— Le compte Instagram de Papa De (@aconstantbecoming) : https://www.instagram.com/aconstantbecoming/
— Le film Out of Uganda : https://www.outplayfilms.com/
L'équipe de l'émission
Présentation : Emma Loiret
Réalisation : Colin Gruel
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