Balladur • Michaela
Depuis la catégorisation de la société en trois « ères » dont la première correspondrait à l’agriculture, la seconde à l’industrie et la troisième aux biens et services, une profondes scission s’opère entre l’agriculture et le reste de la société, une scission qui opère aussi bien d’un point de vue géographique et territorial que culturel, dans les imaginaires et les représentations collectives associées à la ruralité. C’est pour remédier à ces idées préconçues à ce partage trop ferme qu'En Pleines Formes a reçu deux femmes qui questionnent, par leurs discours et leurs productions, ces représentations.
Matali Crasset est designeuse dont le travail est mondialement reconnu. Elle questionne sans cesse les notions de réseaux, de module, de flexibilité. Ses productions concernent aussi bien les objets du quotidien que les espaces à habiter, à travailler. À son optique du design s’ajoute également celles du design graphique, de la scénographie, de l’architecture d’intérieur. Elle nous parle notamment de ses projets "Le vent des forêts" (Meuse), "Le blé en herbe" (Bretagne) et ses différentes contributions au Mumo, un musée mobile et itinérant visant à rendre accessible l'art contemporain à celles et ceux qui en sont éloignés.
Julie Crenn est critique d’art et commissaire d’exposition. Elle porte notamment le projet « Agir dans son lieu », qui après avoir voyagé entre plusieurs lieux qui se tient en ce moment au Transpalettes de Bourges (jusqu'au 16 janvier 2022).
Henri Guette nous propose sa lecture de l'exposition.
Dans l’ancienne usine, la réplique à l’échelle d’un tracteur en bois par Pascal Rivet en impose et indique d’emblée le programme : interroger les liens entre artistes et monde paysans. La citation à Edouard Glissant “Agis dans ton lieu, pense avec le monde” à laquelle se réfère la commissaire d’exposition n’est pas anodine et témoigne d’une conscience à plusieurs étages. Qu’est-ce que c’est pour un artiste travailler dans son lieu ; qu’est-ce que c’est pour un commissaire de travailler dans son lieu ? Plusieurs artistes comme Damien Rouxel ou Meg Boury sont enfants de paysans et la commissaire d’exposition elle-même a pour compagnon un agriculteur. Le lieu s’impose ainsi, familièrement, personnellement, intimement quand bien même il n’est pas a priori celui de l’art. Quand Damien Rouxel a annoncé à ses parents qu’il ne reprendrait pas la ferme mais qu’il souhaitait entamer une carrière artistique ; il lui est apparu que son choix avait une incidence concrète sur l’organisation de la famille. Il a donc ancré sa pratique dans l’histoire de la ferme, sa vie quotidienne, ses pratiques dans un geste artistique qui lui permettait de maintenir un lien et de prendre position. Par la photo et des jeux de poses qui jouent avec l’imagerie de peintures religieuses ou mythologiques, il propose un nouveau récit familial. Par l’installation, la performance, il revisite des réalités concrètes de la ferme et par exemple par le registre des naissances des animaux propose de dire quelque chose de notre rapport comptable au vivant. Agir dans son lieu, c’est donc premièrement prendre conscience du lieu où l’on se situe et d’être capable d’y développer une action, qui peut-être critique mais aussi et surtout créatrice. Julie Crenn aussi connue comme critique d’art agit dans son lieu qui est celui des espaces d’expositions et comme elle le rappelle il n’y a pas un monde de l’art ou un monde paysan mais des mondes de l’art et des mondes paysans.
Une exposition en plusieurs étapes, un suivi au long cours des artistes : Cette temporalité, ce continuum de relation se sent dans l’exposition et est un positionnement éthique à lui seul. Les œuvres de Pascal Rivet réparties dans l’espace témoignent d’une relation de confiance de plusieurs années depuis ce tracteur du hall donc jusqu’à la vidéo du sacrifice d’un de ses tracteurs dans Jour de Fête. Pour le visiteur, le parcours se fait autour de ces deux figures, celle de Pascal Rivet et celle de Loïs Weinberger : jardinier des poches et cultivateur des résistances. Agir dans son lieu est une exposition consciente des dérives d’une agriculture intensive et productiviste mais cette réalité là, palpable dans l’installation très mécanique de Nicolas Tubéry est appelée à être réinvestie, réappropriée. Sans tomber dans un angélisme, ou une naïveté qui pourrait caractérisé des néo-ruraux Le travail de Suzanne Husky et Stéphanie Sagot au sein du Nouveau Ministère de l’agriculture est manifeste à cet égard : de multiples alternatives aux agricultures industrielles sont possibles et induisent aussi des changements de société. En proposant un programme, des images pour cette utopie peut-être adviendra-t-elle ? Plus concrètement les artistes Kako et Kenkle ont décidé à partir d’un terrain hérité d’établir un projet qui les sort un peu de la peinture et les fait pousser ailleurs. Ils ont commencé ainsi par déplanter sur ce terrain toute la canne à sucre qui y poussait, manière de dénoncer la monoculture qui sévit à la réunion mais aussi de montrer que d’autres modèles sont possibles pour subvenir à ses besoins tout en respectant l’écosystème. Par la plantation d’une forêt et d’un potager pour lequel ils ont récupéré d’anciens plans, il s'ancre dans un dialogue générationnel et ouvre de nouveaux futurs. Une vision optimiste qui ne résout pas tous les problèmes mais qui dans cette exposition donne de l’énergie
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Animation & interviews : Henri Guette & Flore Di Sciullo
Réalisation : Jeffrey
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