Bibi Club • L'île aux bleuets
Si le printemps est traditionnellement le passage du dedans au dehors, cette année 2020 a marqué un passage historique du dehors au dedans. Nous parlons bien sûr du confinement, du contexte sanitaire lié au COVID 19 qui nous amène à enregistrer hors des studios et avec les moyens du bord mais plus globalement de la façon dont notre perception des espaces intérieurs comme extérieurs a changé. Si nous ne pouvons plus nous retrouver au bureau ou dans les cafés en effet nous avons commencé à recevoir et être reçu à la maison par des écrans omniprésents. Rien a priori de nouveau depuis que Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook ait déclaré en 2010 que la vie privée était un concept dépassé tout en vendant les données personnelles des utilisateurs de ses plateformes et pourtant … La webcam désormais intégrée sur chaque ordinateur, chaque tablette, chaque mobile transforme nos intérieurs en place publique où l’on peut faire un apéro Skype, comme une réunion Zoom. Toutes ces interfaces que l’on utilise en fonction de nos interlocuteurs, en ayant encore conscience de rapports plus ou moins formels témoignent d’une porosité. L’intime et le public donc apparaissent plus que jamais corrélé comme l’ont montré de nombreuses personnalités faisant visiter leurs maisons, des adolescents broadcastant leurs chambres ou même des artistes nous proposant le tour de leur ateliers sur des réseaux sociaux comme Tik Tok ou Instagram
Le concept d’extimité développé par Serge Tisseron en 2001 dans L’intimité surrexposée peut nous aider à mesurer le chemin parcouru depuis Loft Story. En analysant cette émission de télé-réalité, le psychiatre distinguait l'exhibitionnisme - négatif, morbide- du désir de rendre visibles certains aspects de soi jusque-là considérés comme relevant de l'intimité. Ce désir posait-il est constitutif de la personne humaine et nécessaire à son développement psychique - notamment à une bonne image de soi. Loin des critiques contemporaine de Loft Story y voyant alors la réalisation du quart d’heure de célébrité warholien, l’analyse semble toujours aussi pertinente aujourd’hui où l’on se trouve soi-même à travers l’écran comme on retrouve les autres. Un article d’Emma Madden pour I-D Magazine révèle ainsi comment la chambre d’ado devient une interface avec le monde où les posters arborés aux murs agissent comme des marqueurs de reconnaissance pour le meilleur, le sentiment d’acceptation, d’entrer dans une communauté et le pire comme le harcèlement en ligne.
Si les lignes bougent entre le privé et le public et le dehors, le dedans il ne faut toutefois pas être dupe du travail de cadrage et de pose qui continue derrière nos écrans. Peut-être votre interlocuteur est-il mal coiffé mais il a une chemise, peut-être a-t-il une chemise mais reste-t-il en sous-vêtement. Alors que nous voudrions croire qu’une chambre, un appartement révèle une personnalité nous ne voyons jamais qu’un aspect rendu public de cette personnalité. Peut-être l’affiche d’un film est-elle un clin d’oeil au deuxième degré ou l’arrière plan soigneusement arrangé. Le concept d’extimité nous amène à réexaminer l’opposition classique entre authenticité / artificialité et à faire la part des choses entre ce qui est montré et ce que nous voulons voir, le principe de projection. La performativité qu’appelle l’écran nous amène à devenir attentif, à regarder les écrans comme des fenêtres. C’est ainsi en compagnie des artistes Nadim Asfar, Nathanaëlle Herbelin et Juliette Terreaux que nous avons conçu cette émission entre intérieur et extérieur mais complètement poreuse à l’actualité.
Animation et Interview : Henri Guette Lecture : Anaïs Meaume
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