Martin Frawley • Chain Reaction
Mots de passe : souverainisme // Jacques Sapir et Georges Kuzmanovic.
Le souverainisme. Pourquoi tant de haine ? Avec Jacques Sapir et Georges Kuzmanovic.
"Après 5 constitutions républicaines, après des restaurations monarchiques, des dérives impériales, après Vichy, nous savons que la République est fragile, sujette à l’instabilité, promise aux dérapages. Le mal vient justement la doctrine de la souveraineté." écrit Blandine Kriegel (La République incertaine, Paris, La Quai Voltaire, 1992), qu'on recevait au micro de Mots de passe pour parler de l'Etat de droit.
Mais faut-il jeter le bébé de la souveraineté avec le bain de son passif ? On en parle avec deux souverainistes convaincus.
Invités:
Jacques Sapir, économiste, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, auteur notamment du Grand Retour de la planification, Godefroy, 2022.
Georges Kuzmanovic, ancien conseiller de Jean-Luc Mélenchon. Président du mouvement République Souveraine.
Références citées:
Jean Bodin, Les Six Livres de la République, 1575.
Coralie Delaume, Nécessaire Souveraineté, préfacé par Natacha Polony, Michalon, 2021.
Jean-Jacques Rousseau, Contrat social.
Philippe Séguin, Discours devant l'Assemblée nationale contre la ratification du traité de Maastricht, 5 mai 1992.
La citation :
"Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, que l'on ne s'y trompe pas la logique du processus de l'engrenage économique et politique mis au point à Maastricht est celle d'un fédéralisme au rabais fondamentalement antidémocratique, faussement libéral et résolument technocratique, L'Europe qu'on nous propose n'est ni libre, ni juste, ni efficace. Elle enterre la conception de la souveraineté nationale et les grands principes issus de la Révolution : 1992 est littéralement l'anti 1789. Beau cadeau d'anniversaire que lui font, pour ses 200 ans, les pharisiens de cette République qu'ils encensent dans leurs discours et risquent de ruiner par leurs actes!
Je sais bien que l'on veut à tout prix minimiser les enjeux et nous faire croire que nous ne cédons rien d'essentiel en ce qui concerne notre indépendance! Il est de bon ton, aujourd'hui, de disserter à l'infini sur la signification m!me du concept de souveraineté, de le décomposer en menus morceaux, d'affirmer qu'il admet de multiples exceptions, que la souveraineté monétaire, ce n'est pas du tout la même chose que l'identité collective, laquelle ne courrait aucun risque. Ou encore que l'impôt, la défense, les affaires étrangères, au fond, ne jouent qu'un rôle relatif dans l'exercice de la souveraineté.
Toutes ces arguties n'ont en réalité qu'un but : vider de sa signification ce mot gênant pour qu'il n'en soit plus question dans le débat.
La méthode est habile. En présentant chaque abandon parcellaire comme n'étant pas en soi décisif, on peut se permettre d'abandonner un à un les attributs de la souveraineté sans jamais convenir qu'on vise à la détruire dans son ensemble.
Le procédé n'est pas nouveau. Il y a 2500 ans déjà, de demi-longueur en demi-longueur, Achille se rapprochait en courant de la tortue de Zénon sans jamais la rattraper.., Seulement, ce n'est là que paradoxe. Dans la réalité, Achille gagne bel et bien la course ; de même, à force de renoncements, aussi ténu que soit chacun d'eux, on va bel et bien finir par vider la souveraineté de son contenu. Car il s'agit là d'une notion globale, indivisible comme un nombre premier. On est souverain ou on ne l'est pas ! Mais on ne l'est jamais à demi. Par essence, la souveraineté est un absolu qui exclut toute idée de subordination et de compromission. Un peuple souverain n'a de comptes à rendre à personne et n'a, vis-à-vis des autres, que les devoirs et les obligations qu'il choisit librement de s'Imposer à lui-même.
Souvenez-vous du cri de Chateaubriand à la tribune de la Chambre, en 1816 : « Si l'Europe civilisée voulait m'imposer la charte, j'irais vivre à Constantinople. »
La souveraineté, cela ne se divise pas ni ne se partage et, bien sûr, cela ne se limite pas."
François Hollande, Bouleversements, 2016 : « Le souverainisme ne sévit jamais dans un seul pays. Longtemps cantonné à la marge des grandes démocraties ou limité à des Etats autoritaires, il a essaimé partout, alors que la mondialisation dominait ou, peut-être, précisément à cause de cette suprématie. Posée en règle intangible, l’ouverture indifférenciée des frontières a nourri la tentation identitaire. Le Brexit en a été l’illustration la plus éloquente. » (p. 84)
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