JULIEN APPALACHE • Faut Rigoler
Je m’appelle Yasmine et je vais vous parler d’escalade, de douleur et du corps.
Paris, avril 1971. Nous sommes dans l’atelier de Gina Pane. Soyez discrets, la performance commence. Je vous laisse imaginer l’artiste vêtue d’une chemise à carreaux et d’un pantalon noir, gravir, mains et pieds nus, une échelle de trois mètres de haut, sur laquelle elle a positionné des pics métalliques qui la blessent au fil d’une ascension éprouvante.
Ce volet éphémère de l’œuvre est étoffé d’une partie photographique qui conserve et prolonge le souvenir de la performance. La photographe Françoise Masson est la seule à avoir le droit d’utiliser son appareil. Gina Pane élabore un montage, imbriquant gros plans sur ses éraflures et plans d’ensemble.
J’aime l’aspect intemporel de cette œuvre qui intègre trois formes d’art bien que seules deux subsistent au musée : une échelle en métal symétrique au montage photo noir et blanc. Les deux, liés par la performance.
Dans une lettre-manifeste, Gina Pane écrit sur la douleur qu’elle s’inflige.
Elle la déploie d’abord contre ce qu’elle considère comme une anesthésie des consciences. Quand elle met au point cette performance, la guerre du Vietnam s’éternise. Elle est partout. Photos de presse et télévisions participent à anesthésier les sensibilités. L’artiste grimpe en écho à une autre escalade, celle de la violence au Vietnam. Par les gros plans photographiques sur son corps en mouvement, elle nous rappelle que nous sommes vivants.
Cette expression de la douleur sur son propre corps devient un moyen de gagner l’empathie du corps social. Dans les clichés, elle ne montre jamais son visage de face. On s’identifie ainsi à l’artiste. Dans le sport, cette empathie est encore plus démocratisée. On grimpe aux côtés de notre athlète favori. On croit ressentir sa douleur.
L’artiste partage la douleur de son corps tout en testant ses limites. Un concept du dépassement de soi partagé avec le sport de haut niveau. Ce n’est pas un hasard si, dans le dictionnaire le Robert, le mot « performance » désigne tant « une œuvre artistique conçue comme un événement » que le « résultat obtenu dans une compétition ». Le grimpeur olympique est lui aussi un performer.
Gina Pane met l’accent sur le corps et sa réappropriation. Un corps qui sera vedette des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 à Paris.
Action Escalade non-anesthésiée, Gina Pane, 1971, photographies noir et blanc sur panneau en bois, acier doux, Musée national d’art moderne de Paris, Centre Pompidou.
Texte et voix : Yasmine Aîfi
Enregistrement : Colin Gruel
Montage : Jean Foucaud-Jarno
Musique & web : Philipp Fischer
Coordination : Julia Martin & Grégoire Verprat
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