Gus Dapperton • Don't Let Me Down
Bonjour, je m’appelle Zola et je vais vous parler de proportions, de fictions nationales et d’intemporalité.
L’Athlète est une sculpture en plâtre patiné de plus de deux mètres de haut réalisée en 1938 par Félix Joffre. Vous contemplez cet homme d’une vingtaine d’années, presque entièrement nu, qui vous surplombe par sa grande taille. Pudiquement vêtu d’une culotte moulante, sa musculature impressionnante capte votre attention. Mains sur les hanches, fermement campé sur ses deux pieds, torse bombé et le menton légèrement relevé, il pose, immobile. Son regard plein d’assurance fixe l’horizon. Cela vous intrigue. Peut-être est-il en train d’attendre que son score soit affiché sur panneau ? Quel sport pratique-t-il ? Vos yeux suivent la ligne vallonnée formée par ses cuisses puissantes : l’athlétisme peut-être ?
Pour créer ce corps fort et vigoureux, l’artiste a pris pour modèle un pompier parisien et pour le visage, celui d’une sculpture antique romaine. Grand Prix de Rome en 1929, Félix Joffre est allé étudier les statues antiques en Italie dont il cherche à imiter le “beau” idéal : un corps parfait symbole d’un esprit vertueux. En vous rapprochant, vous remarquez que de savants calculs de proportions ont été opérés : largeur des épaules égal écart entre les pieds, angle formé par les bras égal cent degrés, un buste plus deux jambes égal un i-grec inversé.
Exécutée en 1938, cette sculpture exhibe un corps qui, grâce à une pratique physique intense, parvient à un équilibre idéal très à la mode à cette époque. Les fictions nationales de l’entre-deux-guerres se l’approprient. En effet, le sport est instrumentalisé par les régimes fascistes qui en font un moyen d’embrigadement. Les jeunesses hitlériennes et mussoliniennes sont élevées selon l’idée que l’« homme nouveau » serait selon le journaliste Carlo Scorza un « être physiquement transformé » c’est-à-dire résistant, rapide et fort comme un homme-machine.
Cette statue déconcerte par son caractère intemporel. Épurée à l’extrême car dépouillée de vêtements et de parures, il vous est impossible de la rattacher à une époque précise. Le tout vous semble pourtant étrangement familier. Les traits physiques sont suffisamment imprécis pour vous évoquer le corps d’un homme de votre temps.
Ce qui me touche avec cette œuvre, c’est son caractère résolument moderne. Je vois chez les bodybuilders d’aujourd’hui un retour de l’homme mécanique des années 1930 comme une réminiscence de l’exaltation de la force physique. Cette sculpture a presque cent ans et elle nous parle de notre présent : fascinant non ?
L’Athlète, Félix Joffre, 1938, plâtre patiné, 2m de haut, 98cm de large et 58cm de profondeur, La Piscine, Roubaix.
Texte et voix : Zola Duguet
Enregistrement : Philipp Fischer
Montage : Jean Foucaud-Jarno
Musique & web : Philipp Fischer
Coordination : Julia Martin & Grégoire Verprat
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