Pépite • Dernier voyage
Je suis Victoria et je vais vous parler de nudité, de Gaston Colin, et de modernité.
Je suis face à une sculpture plus petite que nature. D’un peu moins d’un mètre de haut, elle représente un jeune homme dont le corps est d’un grand naturalisme, plutôt fin et osseux. Dans un léger déhanché, le jeune homme regarde le sol, la tête penchée vers la droite, son bras droit se déploie le long de son corps, dans un geste souple. Son autre bras est replié vers son épaule, comme si l’adolescent de bronze voudrait se dégourdir, à force de rester debout.
Avec cette sculpture, l’artiste, Aristide Maillol, joue avec nous. Cette sculpture représentant un jeune homme nu serait en réalité un cycliste. N’a-t-on jamais vu un cycliste nu ? Ce titre surprenant vient du contexte de création de l’œuvre. C’est le comte Kessler, ami et mécène de Maillol, qui lui a proposé comme modèle Gaston Colin pour réaliser une sculpture sur le sujet de Narcisse, ce personnage d’Ovide amoureux de son propre reflet.
Le contexte mythologique permet ainsi de justifier la nudité de la sculpture. Gaston Colin était cycliste de métier, et son anatomie athlétique devint un défi technique pour Maillol. Au fur et à mesure du travail, le sujet de Narcisse a été légèrement oublié au profit de la représentation musculeuse du corps de Gaston Colin.
Ce que j’aime dans cette sculpture, c’est qu’ici, le modèle, un sportif contemporain, a pris le dessus sur le mythe, sans pour autant que toute référence à l’antiquité ait disparue. En effet, Maillol fait appel à notre culture visuelle, à nos souvenirs de représentation d’athlètes, traditionnellement représentés nus dans l’Antiquité. Lorsque l'on pense à ces sculptures antiques, généralement on pense aux figures de lanceurs de disques ou aux pugilistes. Ici, à l’aube du XXe siècle, Maillol fait de ce jeune cycliste un athlète moderne. Ainsi Maillol déclare : « Je n’ai pas voulu représenter une idée générale, c’est un portrait : c’est le portrait du jeune Colin. Les anciens ont bien fait des portraits d’athlètes. Donc c’est un portrait d’athlète. »
Le cycliste, Aristide Maillol, entre 1911 et 1914, bronze, 98,5 cm de hauteur, Paris, Musée d’Orsay.
Texte et voix : Victoria Chiado-Orblin
Enregistrement : Sibylle Buloup
Montage : Jean Foucaud-Jarno
Musique & web : Philipp Fischer
Coordination : Julia Martin & Grégoire Verprat
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