Ezra Furman • Suck the Blood from My Wound
Je m’appelle Jannie, laissez-moi vous parler d’un corps-à-corps, de lutte antique et de modernité.
Nous allons parler d’une petite sculpture en terre cuite réalisée par Jules Dalou, vers la fin du XIXe siècle. Demeurée à l’état d’esquisse, elle représente deux hommes à bras-le-corps, emmêlés dans un affrontement intense. Sa qualité d’ébauche nous permet d’apprécier le travail de la matière argileuse par l’artiste qui vient rythmer et animer la lutte.
Cet enlacement se comprend par la position des corps et des bras qui révèlent des prises caractéristiques de la lutte gréco-romaine : la cravate qui immobilise l’adversaire en lui maintenant le cou, et le tour de bras autour des hanches de l’opposant. À ce sujet, saviez-vous que la lutte est un des sports de compétition les plus vieux du monde ? Elle était la dernière épreuve du pentathlon dans les Jeux Olympiques de l’Antiquité. Déjà populaire au XIXe siècle, la lutte dite gréco-romaine s’est professionnalisée en France avant de se diffuser en Europe et de faire partie des nouveaux Jeux Olympiques dès 1896.
Dans cette œuvre, Dalou s’est emparé de la matière sculpturale et y a laissé l’empreinte de sa main à la manière de ces lutteurs en prise avec la chair de leur adversaire et qui finissent par se confondre. Ainsi, elle évoque la puissance des gestes qui animent les lutteurs. Elle réconcilie un passé antique avec la modernité du sculpteur. Les figures, par la couleur de la terre cuite et les détails des musculatures dorsales, évoquent une nudité des corps qui fait référence aux épreuves antiques. En parallèle, l’anonymat des lutteurs et l’absence de détails nous permettent de nous concentrer sur la disposition des corps pris dans un effet d’instantanéité.
Dalou s’attache à donner l’impression d’un mouvement vif qui ne peut être retenu par l’œil et qui fait écho au monde de la vitesse et de l’éphémère qui se développe à la fin du XIXe siècle. Cette sculpture révèle ainsi la modernité du sculpteur. Les saillies et les creux dans l’argile causés par le travail manuel de Dalou peuvent se comprendre comme une approche des peaux meurtries des lutteurs. Cette œuvre pourrait-elle alors incarner une lutte moderne ? En effet, au lendemain de la défaite de 1870 face à la Prusse, la France retrouve son ardeur à travers la lutte. Dalou en défendrait alors les valeurs républicaines dans la représentation de ce duel à bras-le-corps.
Cette œuvre trouve, pour moi, sa force dans son inachèvement qui résonne avec son temps, et notamment avec Auguste Rodin. Les corps se confondent, s’absorbent, fusionnent dans cette étreinte. C’est le sentiment de la lutte que Dalou cherche à représenter.
Lutteurs, Jules Dalou, XIXe – XXe siècle, terre cuite, 19 cm de hauteur, 11 cm de largeur, acquise en 1905, Paris, Petit Palais, Musée des Beaux-arts de la Ville.
Texte et voix : Jannie Moreau
Enregistrement : Colin Gruel
Montage : Jean Foucaud-Jarno
Musique & web : Philipp Fischer
Coordination : Julia Martin & Grégoire Verprat
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