Soolking • Guerilla
Je m’appelle Margot et je vais vous parler de jambes, d'obstacles et d’athlétisme.
L'œuvre que je vais vous présenter est une petite sculpture en alliage métallique, intitulée Passage de haie, réalisée dans les années 1920 par le sculpteur franco-roumain Demetre Chiparus. Nous sommes alors dans l’entre-deux-guerres, et notre artiste bat tous les records de popularité avec ses sculptures de bronze et d’ivoire, représentant des danseuses aux tenues orientalisantes.
Pourtant notre œuvre se place à contre-courant de cette production en saisissant le thème du sport. Le sujet : un athlète, simplement vêtu d’un short et chaussé de crampons, s’élançant avec détermination par-dessus une barrière. Une jambe tendue par-devant l’obstacle, l’autre encore en flexion, la sculpture immortalise l’instant du saut de haies.
Après la Grande Guerre, le goût du sport se renforce, et avec lui se diffuse la pratique de l’athlétisme, la plus ancienne des disciplines olympiques. Néanmoins, l’épreuve du saut de haies n’a rien d’antique. Elle est inventée en Angleterre par des étudiants d’Oxford au XIXe siècle, peut-être inspirée des courses d’obstacles hippiques. La pratique traverse la Manche, et la France standardise définitivement le parcours à 110 m de long pour des haies de 1,06 m de haut. L’épreuve est disputée dès les premiers JO modernes de 1896.
La forme de l’obstacle est ici étonnante. Sorte de barrière massive, aux piliers en forme de “T” inversés, la haie n’a rien de léger et ne peut être percutée par le coureur. C’est l'ancêtre des haies modernes, aux piliers en forme de “L”, facilement renversables en toute sécurité.
Notre athlète déploie son corps dans l’espace : sa tête et sa jambe droite sont projetées vers l’avant, sa jambe gauche est repliée en arrière, et ses bras sont à l’horizontale. Cela vous semble familier ? Les sportifs d’aujourd’hui utilisent toujours cette technique ! Elle est inventée en 1898 par l’Américain Alvin Kraenzlein. Alors que les coureurs sautaient “empaquetés”, c’est-à-dire les deux jambes repliées sous le corps, Alvin franchit la haie une jambe tendue pour se réceptionner : utile pour reprendre sa foulée. Il établit même un nouveau record du monde resté inégalé jusqu’au JO de Paris en 1924.
Je suis fascinée par ce choix de l'instant fatidique du saut de haies. Non pas le moment de l’impulsion, ni celui de l’amortissement du corps, mais bien l’instant, ô combien insaisissable, du vol de l’athlète. Le regard vers la victoire, son corps tendu propulsant ses espoirs, voilà qu’il anticipe déjà le prochain obstacle.
Passage de haie, Demetre Chiparus, vers 1920, régule, 42 x 45,5 cm, Roubaix, La Piscine, Musée d’Art et d’Industrie André Diligent.
Texte et voix : Margot Faucon
Enregistrement : Margot Page
Montage : Jean Foucaud-Jarno
Musique & web : Philipp Fischer
Coordination : Julia Martin & Grégoire Verprat
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